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Hervé Thomas. « Avec Attac, ça va chauffer ! »

le 12 août 2015

Hervé Thomas. « Avec Attac, ça va chauffer ! »

Coordinateur de l’université d’été de l’association altermondialiste qui se tiendra à Marseille du 25 au 28 août, Hervé Thomas en présente les objectifs.

Attac organise son université d’été du 25 au 28 août à la faculté Saint-Charles de Marseille. Tour d’horizon de l’événement avec Hervé Thomas, son coordinateur.

La Marseillaise. Pourquoi Marseille ?

Hervé Thomas. Il y a une présence forte d’Attac dans les Bouches-du-Rhône. Les six comités locaux du département se sont portés candidats pour l’organisation de l’université d’été ici. Sur 14 éditions, c’est la première fois qu’elle aura lieu à Marseille mais la 8e fois dans les Bouches-du-Rhône après 6 éditions à Arles et une à La Ciotat. Nous avons tenu à organiser des activités hors les murs de l’université avec par exemple une soirée au Prophète, une soirée cinémas arabes avec Aflam et le cinéma le Gyptis, une fête au Point de Bascule, une balade à la Cabucelle... Pour faire découvrir aux participants la ville que nous vivons au quotidien, loin des clichés insécurité, Bielsa et Plus belle la vie.

La Marseillaise. Comment faut-il comprendre le titre de votre université d’été, « ça va chauffer » ?

Hervé Thomas. Oui avec Attac ça va chauffer, c’est un pied de nez au dérèglement climatique avant la COP21 mais aussi vis-à-vis d’autres sujets au programme de l’université d’été comme la politique d’austérité, la dette et pas seulement celle de la Grèce mais aussi celle des pays du Sud ou encore des collectivités locales...

La Marseillaise. Vous parlerez d’Européen recevant notamment Zoé Konstantopoulou, la présidente du parlement grec qui a voté contre l’accord imposé à son pays. Quel regard portez-vous sur les contradictions qui traversent les progressistes grecs ?

Hervé Thomas. Attac n’a pas réponse à tout ni ne prétend détenir une ligne comme pourrait l’avoir un parti. Ce qui est sûr c’est qu’Attac est une association européenne qui défend l’idée de l’Europe et qui s’oppose à la sortie de l’euro. Néanmoins on constate que lorsqu’un pays, fort de deux votes démocratiques ne veut pas appliquer les politiques libérales, il y est quand même contraint. C’est une vraie question dont il faut débattre. Oui, il y a des contradictions mais elles ne doivent pas empêcher d’avancer. Une lettre ouverte de Thomas Coutrot, l’un des porte-parole d’Attac à Yanis Varoufakis publiée récemment allait dans son sens. Il y avait probablement un plan B. Il faut en débattre, rien n’est tranché sur ce sujet.

La Marseillaise. Comment voyez-vous le rôle des altermondialistes dans la préparation de la COP21 ?

Hervé Thomas. Nous voulons en faire connaître les enjeux, être à la fois dedans et dehors, tout faire pour fédérer les différentes sensibilités, faire entendre la voix des citoyens. Ce qui est en jeu ce n’est pas qu’une transition énergétique. C’est un processus global qui interroge la croissance, le mode de développement, le travail lui-même. Une transition démocratique et citoyenne pour changer le système, pas le climat.

La Marseillaise. Après l’élan des premiers forums sociaux mondiaux, le mouvement altermondialiste a donné des signes d’essoufflement, pourtant les raisons de sa création demeurent. Comment envisagez-vous son avenir ?

Hervé Thomas. Les forums sociaux mondiaux se poursuivent comme en témoigne celui de Tunis cette année, mais il est vrai qu’ils n’ont pas la même ampleur que le premier à Porto Allegre, c’est la même chose pour les rassemblements contre le G8 ou le G20. Cela nous fait réfléchir sur la diversification de nos modes d’action. Dans le même temps, le mouvement altermondialiste apparaît sous de nouvelles formes comme dans les ZAD, à Notre-Dame-des-Landes, Sivens ou au camp de Bure. Pour la première fois, un atelier de formation sur la désobéissance civile aura lieu cette année à l’université d’été. Thomas Coutrot est d’ailleurs sous le coup d’une poursuite judiciaire pour un vol symbolique de chaises à la BNP.

Propos recueillis par Léo Purguette (La Marseillaise, le 12 août 2015)

« La fuite en avant des classes dominantes »

le 22 juillet 2015

« La fuite en avant des classes dominantes »

Grèce, TAFTA, lutte contre le réchauffement climatique : les mêmes logiques sont à l’oeuvre : les différentes facettes de la fuite en avant des tenants du capitalisme. Quitte à aller dans le mur. Les analyses de Thomas Coutrot, Dominique Plihon et Jean-Marie Harribey, membres d’Attac qui seront à Marseille pour les universités citoyennes en août.

La Grèce vient de payer 6,2 milliards d’euros au FMI et à la Banque Centrale Européenne, grâce à un « généreux » prêt d’urgence de la BCE, et s’apprête à voter le dernier train de réformes austéritaires exigées par l’Europe pour pouvoir demander un troisième prêt auprès des mêmes. Le modèle qui a montré son inefficacité et son injustice se perpétue donc.

Le sujet sera abordé durant les universités citoyennes d’Attac qui se déroule à Marseille en août. Comme seront traitées les questions du Tafta, de la lutte contre le réchauffement climatique… « Le lien évident entre tout cela est le pouvoir croissant des multinationales, des grandes banques, des intérêts économiques qui ont peu à peu colonisé le pouvoir politique » campe Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac France.

« Le contexte est celui d’une crise mondiale du capitalisme d’une ampleur inégalée car multidimentionnelle : sociale, économique et aussi écologique » ajoute Jean-Marie Harribey, membre du comité scientifique, « les classes dominantes l’ont bien compris et veulent en sortir par une fuite en avant qui interdit toute remise en cause. Ce qui explique le déni de démocratie en Grèce, ce que l’on verra dans les tribunaux privés si Tafta est signé, ou dans les négociations sur le climat où il y a une tentative de transformer les actifs naturels en actifs financiers ».

Pas une lutte de pays, une lutte de classes

Cette critique du capitalisme est aussi la grille d’analyse utilisée par Dominique Plihon, Président du Conseil scientifique, qui ajoute : « il faut arrêter de raisonner en terme de pays. L’Allemagne contre la Grèce, le Nord contre le Sud… Cela joue, mais la question se pose aussi en terme de classes sociales internationales. L’accord humiliant qui a été imposé à la Grèce l’a été par l’oligarchie des gouvernements européens, par une classe sociale dominante, ayant l’argent et le pouvoir qui s’oppose aux classes moyennes et aux pauvres. Il y a une lutte des classes, il ne faut pas avoir peur des mots. Et ceux qui souffrent le plus, des politiques d’austérité comme des effets du dérèglement climatique, ce sont les plus pauvres ».

Si les informations sur le climat ont clairement établi la dimension mortifère du capitalisme qui s’acharne dans un processus destructeur, il en va de même avec ce qui se passe en Europe estime Dominique Plihon : « les politiques menées en Europe ont échoué. C’est un constat partagé par toutes les personnes censées. Mais on continue, ce qui mènera aussi dans le mur avec la dislocation probable de l’Europe et la montée des nationalismes nous faisant retomber dans les ornières du passé ».

Dès lors, quel modèle économique alternatif à opposer au capitalisme ? Pour Thomas Coutrot, un modèle est déjà à l’œuvre : « celui des biens communs, basé sur la démocratie et la coopération ; ni lucratif, ni marchand, ni même basé sur l'État, un État que beaucoup voient désormais comme un problème, non parce qu’il serait bureaucratique mais parce qu’il a été colonisé par le marché ». Un modèle à l’œuvre dans les coopératives, dans les domaines de l’énergie, dans internet ; un mouvement « puissant »  assure l’économiste.

« Avoir les forces sociales pour porter l’alternative »

« Sur le papier, les pistes sont assez simples. Toute la difficulté est d’avoir les forces sociales pour le porter. Or, la crise grecque a montré les difficultés des mouvements sociaux comme des partis politiques radicaux » tempère Jean-Marie Harribey avant de développer cette alternative : « il faut élargir l’espace non-marchand où se trouve la santé, la culture, l’éducation mais aussi faire face au chômage qui ne pourra se faire qu’en réduisant le temps de travail, tout en remodelant notre système économique vers la transition énergétique et en remaîtrisant la monnaie qui nous a complètement échappé comme on peut le voir avec la BCE ».

Dominique Plihon met lui en avant le « glocal : attaquer à la fois en haut et en bas. Toutes les expériences locales, fussent-elles nombreuses, ne suffiront pas. Il faut aussi attaquer le système, empêcher Tafta et dénoncer le fonctionnement des institutions internationales. Toutes ne sont pas sur le même plan mais toutes ont des limites et sont insuffisantes. A Attac, nous avons centré nos attaques sur le FMI et la Banque mondiale qui sont le bras armé ».

Angélique Schaller (La Marseillaise, le 22 juillet 2015)

Le monde bouge

Les différents continents connaissent tour à tour une série de bouleversements majeurs. Sur le plan économique, sur le plan social, ou militaire. Tous ces phénomènes entraînent d’énormes bougées géopolitiques. L’ennemi d’hier se transforme parfois en partenaire circonstancié d’aujourd’hui.

Grèce ont aiguisé les critiques sur la gouvernance de l’Europe et fait renaître la réflexion sur ce qu’est vraiment une démocratie. Et ce dans un continent plutôt habitué jusque-là à distribuer les bons et mauvais points aux autres…

Le choc n’est pas comparable à celui provoqué par la chute du Mur de Berlin. Mais c’est la diversité des mouvements qui interpellent : les État-Unis qui admettent l’échec de leur politique vis-à-vis de Cuba, l’Occident qui signe un accord avec l’Iran alors que Téhéran était, nous de la société ; sans oublier les guerres faites soi-disant au nom des Droits de l’Homme et qui éclatent à la face du monde (Libye, Syrie, Irak, etc) ou les Brics, cet ensemble de nations émergentes tentant de créer un autre pôle de développement sur la planète.

Tous ces bouleversements font naître des contradictions, des mouvements d’idées et des aspirations nouvelles.

Parfois même, le changement se revendique selon une alternative progressiste (et pas militaire ou théocratique). Le cas de la Grèce et de l’émergence en Europe de mouvement proche. Les victoires politiques de la gauche latino-américaine en sont d’autres. Tout comme l’a été la fin de l’Apartheid en son temps.

Toutes ces aspirations au progrès doivent être écoutées, entendues et soutenues. Non pas selon une sorte de paternalisme d’un autre temps mais bel et bien du fait d’une convergence d’idées pour une autre marche du monde. Le monde bougera, quoi qu’il arrive. Le plus important est de savoir qui conduira la marche.

Sébastien Madau (La Marseillaise, le 22 juillet 2015)

Repères

Nouvelles réformes en Grèce. Ce soir, le Parlement grec doit adopter le deuxième volet des mesures exigées par l’UE et le FMI. Il comprend l’introduction de la directive européenne de 2013, adoptée lors de la crise à Chypre, garantissant des dépôts bancaires jusqu’à 100.000 euros, ainsi qu’une réforme du code de procédure civile. Olga Gerovassili, porte-parole du gouvernement, expliqué que le gouvernement s’était mis d’accord avec les institutions pour reporter pour « plus tard » la mesure concernant la suppression graduelle des pré-retraites, qui aurait dû être adoptée mercredi dernier.

6,2 milliards d’euros ont été versés par la Grèce à ses créanciers dont 2 milliards au FMI et 4,2 milliards à la BCE. Un versement permis grâce aux 7,16 milliards d’euros débloqués en urgence par l’UE. Le 20 août, l'État doit rembourser 3,188 milliards d’euros à la BCE et 1,5 milliard au FMI en septembre.

3e. Le gouvernement « va reprendre immédiatement les négociations avec les institutions, UE, BCE et FMI, qui doivent durer jusqu’au 20 août au plus tard », a indiqué Olga Gerovassili, la porte-parole du gouvernement. L’objectif est de finaliser l’accord sur un troisième prêt au pays sur trois ans.

Attac. L’université citoyenne se déroule du 25 au 28 août à Marseille, fac Saint-Charles. Parmi les nombreux forums, plénières et ateliers, un débat à la dette en Europe. Aux côtés de Thomas Coutrot d’Attac, Éric Toussaint du CADTM qui a participé à l’audit de la dette grecque demandé par la Présidente du Parlement Zoé Konstantopolou, elle aussi présente.

La Marseillaise, le 22 juillet 2015

Francis Wurtz. Grèce : « Transformer l’indignation en arguments »

le 17 juillet 2015

Francis Wurtz. Grèce : « Transformer l’indignation en arguments »

Personnalité politique respectée ayant siégé des décennies comme Député européen, Francis Wurtz s’exprime sur les questions soulevées par l’accord signé par la Grèce.

Député européen de 1973 à 2009, le communiste Francis Wurtz a présidé le Groupe parlementaire de la gauche unitaire et participé à la création du parti de la gauche européenne.

La Marseillaise. Votre analyse sur l’accord et les raisons qui ont poussé Alexis Tsipras à l’accepter ?

Francis Wurtz. La principale nouveauté par rapport aux négociations qui s’étaient déroulées jusque là est que les dirigeants allemands avaient décidé de bouter la Grèce hors de la zone euro. Cela a été dit, même habillé grossièrement par une suspension provisoire. Ce qui a provoqué de fortes oppositions, pour des raisons diverses, certains étant surtout motivés par la peur des conséquences qu’un Grexit aurait sur un plan financier comme politique. Face à cette opposition, les dirigeants allemands ont cherché à obtenir cette sortie en imposant des conditions insupportables. Un choix terrible pour Alexis Tsipras sachant que le système bancaire grec n’avait, pour seule source de financement, que les emprunts auprès de la BCE. Refuser l’accord, c’était voir couper le dernier robinet de crédit. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’Alexis Tsipras a été horrifié par ce qu’il a signé, il a d’ailleurs dit avec loyauté et franchise qu’il ne croyait pas à cet accord. Mais il n’a pas voulu prendre la responsabilité historique de jeter son pays dans une catastrophe inimaginable.

La Marseillaise. A gauche, certains comme Jacques Sapir, Lordon ou encore le nobel Krugman pensent cependant que rester dans l’euro n’est pas la solution ?

Francis Wurtz. Le statu quo dans la zone euro est aujourd’hui impossible. Il faut mener un combat pour changer en profondeur les règles d’un euro qui n’est pas fatalement un outil de vengeance au service des puissances. Il faut s’appuyer sur l’émotion ressentie par la population face à l’attitude des dirigeants allemands instrumentalisant l’euro dans le but politique d’en finir avec la première expérience politique alternative en Europe. Par exemple, la BCE a un formidable pouvoir : celui de créer de la monnaie à partir de rien. Elle s’en est servi à hauteur de 1.140 milliards d’euros mais au service des banques. Imaginons ce que cela pourrait donner si cela se faisait au service de la Grèce ? Une union monétaire solidaire est possible, même si ce n’est pas le cas aujourd’hui.

La Marseillaise. Ce qui s’est passé montre cependant un processus antidémocratique et suscite une question : l’Europe est-elle réformable de l’intérieur ?

Francis Wurtz. Il faut passer par des ruptures fondamentales, ce sont les fondements de classe qui sont dans les traités que nous devons combattre. La Grèce était malheureusement le pays le plus mal placé pour faire basculer le système, ayant un poids modeste et étant très fragilisé par son endettement. Mais ce qu’elle a fait a ouvert la voie. Ce n’est pas comme ce qui s’est passé contre le projet de constitution qui était un coup de boutoir des populations. Là, il y avait un gouvernement clairement mandaté, massivement soutenu. Un des premiers enjeux est de rompre avec ce non-respect de la souveraineté populaire. Mais pour y parvenir, il faut rassembler les forces. Affirmer qu’il suffit de désobéir à Bruxelles est trop léger. Il faut établir un rapport de force, se trouver des alliés. C’est pour cela que nous avons créer le parti de la gauche européenne, pour faire du lien entre les partis politiques et les mouvements sociaux qui contestent ces règles. Il ne faut pas en rester à cette indignation, légitime, très forte dans beaucoup de pays y compris en Allemagne où un sondage vient de montrer que 62% de la population ne voulait pas d’un Grexit. On doit la transformer en argument.

La Marseillaise. Le soutien à la Grèce a-t-il été à la hauteur ?

Francis Wurtz. Il y a eu de belles prises de position, y compris en Allemagne où la fédération de tous les syndicats a clairement pris partie, et dès le début, en faveur de Syriza, de beaux rassemblements comme durant le forum européen des alternatives à Paris. Mais compte-tenu de l’enjeu crucial que représente la victoire de Syriza pour nous tous, de la férocité de ceux qui tiennent le manche, le mouvement de solidarité n’a pas été suffisant et il faudra en tirer la leçon.

La Marseillaise. Les nationalismes sont aussi présentés comme guettant une sortie de l’euro et de l’Europe ?

Francis Wurtz. Si on ne se bat pas pour éviter la destruction de l’Union européenne, le revers est effectivement le nationalisme. Crise, concurrence, absence de perspective… tous les ingrédients sont là. Ce n’est pas le moment d’aller vers le chacun pour soi, ce serait aller vers un danger mortel. Il faut une union des peuples, il faut se battre ensemble pour créer les conditions des ruptures nécessaires, rassembler pour construire des alternatives. En face, les positions sont extrêmement défensives. Ils ont compris le danger que représentait la réussite de Syriza dans une opinion publique qui s’éloigne toujours plus des institutions européennes. Il y a un divorce. Je ne vois pas comment désormais ils pourront justifier leur pouvoir avec des références mielleuses dans les traités foulées du pied chaque jour.

La Marseillaise. Cette crise grecque a aussi vu l’expression de l’opposition de peuples du nord, pauvres, pressurisés par l’austérité ?

Francis Wurtz. C’est le principe absolu des réactionnaires : monter les pauvres contre les pauvres. Un syndicaliste le vit dans son combat dans son entreprise, le militant politique dans son pays, là on l’a vu à l’échelle européenne. Il faut se battre contre cela et expliquer : la solidarité avec les uns ne se construit pas contre les autres. Le problème n’est pas celui qui est un peu moins pauvre, mais celui qui monopolise le pouvoir et impose ces politiques régressives. Et au-delà des pauvres de l’Est et du Sud, la tentation est grande d’opposer plus globalement le nord et le sud. Malgré la formule d’union européenne, le danger est celui d’une désunion européenne.

Entretien réalisé par Angélique Schaller (La Marseillaise, le 17 juillet 2015)

Jacques Sapir. « Une alternative à ce que propose l’occident »

le 10 juillet 2015

Jacques Sapir. « Une alternative à ce que propose l’occident »

L’économiste décrypte les enjeux de la création d’un FMI bis, analyse la dimension géopolitique et fait le point sur le dossier grec.

Jacques Sapir est économiste, directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Après avoir enseigné la macroéconomie et l’économie monétaire, il s’est spécialisé sur les questions russes. Sur son blog RussEurope, il a aussi écrit de nombreux articles sur la Grèce.

La Marseillaise. La Nouvelle Banque de Développement des BRICS a été officiellement lancée. Selon vous, quel est son objet ?

Jacques Sapir. Clairement de reprendre une partie des tâches pour l’instant assumées par le FMI. Quand on dit qu’il s’agit d’un anti-FMI ou d’un FMI bis, c’est bien de cela dont il s’agit. Les BRICS se sont dotés d’un instrument d’invention sur les questions monétaires, ayant une fonction de stabilisation. Un fonds de réserve y a été adossé : le bras armé des BRICS pour faire face à d’éventuelles crises.  Depuis le 29 juin, il y a aussi la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures qui aura, elle, un rôle similaire à celui de la Banque mondiale. Cette Banque mondiale bis a suscité énormément d’attentions et de nombreux pays occidentaux y participent, à l’exception des États-Unis et du Japon. Pour une raison simple: cette participation, même faible, leur permettra à terme de candidater sur les marchés ouverts par ces investissements.

La Marseillaise. Vous parlez d’éventuelles crises. On parle d’essoufflement des BRICS, d’une Chine à la veille d’une crise financière ?

Jacques Sapir. Qu’il y ait des problèmes en Chine, nul ne saurait le nier. Ainsi qu’en Russie, moins du fait de l’embargo d’ailleurs que des sanctions financières. On le sait. Mais on sait aussi que ces pays ont désormais les moyens de continuer des opérations extrêmement importantes. Ces difficultés me semblent purement conjoncturelles et je ne pense pas que cela ait des conséquences.

La Marseillaise. Il y a dans ces initiatives une dimension géopolitique. Comment la formulez-vous ?

Jacques Sapir. Une dimension géopolitique très claire qui vise à renforcer un pôle autour de la Russie et de la Chine mais aussi d’autres pays comme le reste des BRICS [Inde, Brésil, Afrique du Sud] ou les pays observateurs de Organisation de Coopération de Shanghai. Il y a aussi certainement la volonté de s’opposer à ce qu’ont fait les États-Unis et les pays occidentaux, pas dans l’idée d’une opposition frontale immédiate mais avec l’objectif de construire une alternative à ce que proposent ces pays occidentaux. Il y a un retour d’un affrontement non plus est-ouest, mais nord-sud, où les non-alignés d’hier rejoignent le camp du sud dans ce qui apparaît de plus en plus clairement anti-occidental. Bien sûr, il y a des sensibilités différentes. Ainsi le Brésil qui revendique vouloir de bonnes relations avec tout le monde. Mais qu’il se soit ainsi rallié à cette alternative est un indicateur d’un basculement des rapports de force.

La Marseillaise. Les BRICS ont d’ailleurs parfois été mentionnés comme une alternative possible pour la Grèce ?

Jacques Sapir. Concrètement, les Russes comme les Chinois ont déjà dit que, malgré leurs sympathie pour le combat mené, la Grèce ne pourrait compter sur leur aide que si elle était contrainte de quitter la zone euro. Si les Grecs sont « expulsés », les BRICS ont effectivement dit qu’ils pourraient alors regarder les conditions d’une coopération. Mais ils ne sont pas demandeurs.

La Marseillaise. Il y aurait pourtant un intérêt stratégique pour la Russie à avoir un port en Méditerranée, sa base en Syrie étant « out » ?

Jacques Sapir. Bien sûr mais je pense que la Russie ne veut pas mettre la Grèce dans une position trop difficile. Elle n’exigera ainsi jamais de la Grèce qu’elle sorte de l’OTAN. Ce que les Grecs peuvent cependant décider tous seuls.

La Marseillaise. Ces éléments expliquent-ils l’interventionnisme de Barak Obama ?

Jacques Sapir. J’ai tendance à croire que ce n’est pas la vraie raison. Il me semble plus inquiet par les conséquences qu’une disparition de l’euro auraient sur le dollar. Cela fait trois ans que j’explique que l’euro est la dernière ligne de défense du dollar. Sans lui, le dollar se retrouve en première ligne. La France s’est d’ailleurs alliée avec ces Américains pour faire pression sur l’Allemagne. Mais il y a à mon sens un problème d’évaluation politique et la position française s’en retrouve très ambiguë, pour ne pas dire plus. Par exemple, il y a actuellement une délégation française en Grèce pour les aider à rédiger « correctement » leurs propositions. Or, on sait très bien que le problème n’est pas de présentation. Le problème est le refus de l’Allemagne à laisser opérer des transferts budgétaires dans l’Union. Étant donné l’hétérogénéité des pays composant l’union, ces transferts reposeraient massivement sur l’Allemagne qui ne veut ni ne peut les assumer. Le dire supposerait d’aller jusqu’au bout de la logique : l’euro ne peut pas marcher.

La Marseillaise. Que vous inspire les propos de Manuel Valls à l’Assemblée accusant Alexis Tsipras de ne pas faire de propositions concrètes et d’avoir quitté la table des négociations ?

Jacques Sapir. Ils sont faux ! J’ai eu des contacts avec plusieurs membres de la haute administration grecque. S’ils accueillent favorablement toute aide française, ils disent aussi n’avoir aucune confiance dans les déclarations du gouvernement français. La cassure remonte à 2014, quand François Hollande a refusé de recevoir Alexis Tsipras alors simplement candidat.

Entretien réalisé par Angélique Schaller (La Marseillaise, le 10 juillet 2015)

Yohann Roszéwitch. « Des droits restent à conquérir pour les LGBT »

le 04 juillet 2015

Yohann Roszéwitch. « Des droits restent à conquérir pour les LGBT »

Le Président national de l’association SOS homophobie est aujourd’hui à Marseille pour participer à la Pride 2015 sous le thème « transformons nos libertés ».

Président national de l’association SOS Homophobie, Yohann Roszéwitch défilera pour les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bi, trans) dans les rues de Marseille cet après-midi(*) à l’occasion de la Pride 2015.

La Marseillaise. Quel sens donnez-vous à votre présence à la marche de Marseille ?

Yohann Roszéwitch. SOS homophobie est une association nationale basée à Paris. Sur ses 18 délégations régionales, Paca est la plus importante et la plus active notamment en matière d’interventions en milieu scolaire puisqu’elle aura sensibilisé 5.000 élèves. Ce travail est d’autant plus important que même si Marseille est la deuxième ville de France, elle ne dispose pas de centre LGBT contrairement à des villes de taille moyenne. Enfin, nous suivons de très près le couple de femmes dont le mariage a été annulé car il n’a pas été célébré par une personne ayant qualité d’officier d’état civil. Nous venons de décider d’accompagner ce couple qui porte plainte contre l’élue en cause en nous constituant partie civile.

La Marseillaise. Quel est l’état de l’homophobie en France ? Le rapport annuel de votre association atteste d’une baisse de témoignages sur l’année précédente.

Yohann Roszéwitch. En effet, mais il faut relativiser cette baisse car elle fait suite à une année qui avait vu exploser le nombre de témoignages de victimes d’homophobie. Ils avaient bondi de 80% autour du débat sur le mariage pour tous. D’ailleurs nous avons vu baisser les témoignages touchant aux domaines fortement liés au mariage pour tous : Internet, politique, religion. Ce qui nous alerte c’est que les témoignages sont en faible baisse voire à niveau constant dans les domaines du quotidien : famille, voisinage, travail, école… Chez les plus jeunes, on constate même des hausses ce qui est évidemment préoccupant. Par ailleurs, quand on compare 2014 non pas à 2013 mais à 2011, une année antérieure au débat sur le mariage pour tous, on constate tout de même une hausse de 40% des témoignages de victimes d’homophobie.

La Marseillaise. Trois ans après l’élection de François Hollande, sa promesse concernant l’ouverture de la Procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes n'est toujours pas tenue. Quelle est votre réaction à l’avis favorable du Défenseur des droits sur le sujet ?

Yohann Roszéwitch. Nous sommes favorables à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, comme l’avait promis François Hollande, et aux célibataires. Le Haut conseil à l'Égalité entre les hommes et les femmes et le Défenseur des droits ont pris position dans ce sens. Le gouvernement attend que le Conseil consultatif national d’éthique rende à son tour un avis. Il faut mettre en œuvre cette promesse de campagne qui est restée lettre morte alors qu’elle aurait pu figurer dans la loi mariage pour tous ou dans une loi famille. Aujourd’hui le système est hypocrite  car les femmes discriminées par rapport aux hétérosexuelles vont à l’étranger quand elles le peuvent financièrement et prennent des risques sanitaires.

La Marseillaise. Quelles autres revendications portez-vous ?

Yohann Roszéwitch. Nous demandons l’arrêt de la discrimination des hommes gays et bisexuels dans le don du sang. On sent une bonne volonté de la Ministre mais on attend des actes. Par ailleurs nous saluons la décision de la cour de cassation qui valide l’inscription à l’état civil des enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger. Nous revendiquons également la simplification du changement d’état civil pour les personnes trans. Là il ne s’agit plus d’égalité des droits mais de liberté fondamentale à être soi, à pouvoir disposer de papiers en accord avec son genre vécu. Il faut démédicaliser, dépsychiatriser, déjudiciariser les parcours. Bref, il reste des droits à conquérir pour les personnes LGBT.

La Marseillaise. À l’occasion du débat sur le mariage pour tous, des groupes réactionnaires se sont réveillés. Croyez-vous des reculs possibles à l’avenir ?

Yohann Roszéwitch. L’homophobie ne s’est pas créée à ce moment-là, elle s’est en réalité libérée de façon décomplexée. Certains parlent d’abrogation de la loi Taubira, d’autres de réécriture. Nous ne voyons pas comment constitutionnellement il serait possible de démarier des couples ou de faire cohabiter des régimes différents. 20.000 mariages ont été célébrés comme les autres, la société ne s’est pas effondrée. Les Français sont majoritairement favorables au mariage pour tous et à l’adoption. Les groupes qui le contestent ne sont qu’une minorité bruyante.

Entretien réalisé par Léo Purguette (La Marseillaise, le 4 juillet 2015)

(*) Parcours de la marche : départ 15h au Palais Longchamp, arrivée vers 18h sur l’esplanade du Mucem. Infos et programme des événements liés à la marche : pride-marseille.com.

« La Marseillaise » signe la charte des médias contre l’homophobie

À l’occasion de la Pride Marseille, notre journal signe la charte des médias contre l’homophobie. L’initiative, lancée par l’association de journalistes AJL, vise « dans la droite ligne de la charte d’éthique professionnelle des journalistes adoptée en 1918 (amendée en 1938 et 2011), à garantir le droit de l’ensemble du public (LGBT compris) à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste », résume le préambule du texte qui comporte cinq grands principes.

Les voici : « Traiter de manière égale les homosexuel-les, les bisexuel-les et les hétérosexuel-les, garantir un traitement juste et respectueux des personnes trans, rendre compte de la diversité des communautés LGBT, res-
pecter l’ensemble du public et assurer l’égalité entre tou-te-s les collaborateurs-trices au sein de la rédaction. »

En signant cette charte, La Marseillaise rejoint une démarche partagée notamment par le Monde, l’Équipe, Libération, les Inrockuptibles, Slate, Mediapart, Rue89, Society, So Foot », Radio Nova, Ouï FM, Yagg, Têtu, Streetpress, Alternatives économiques, AlterEco-Plus, Brain Magazine…

La Marseillaise, le 4 juillet 2015

Gabriel Colletis. « Passer à une logique de co-développement avec la Grèce »

le 02 juillet 2015

Gabriel Colletis. « Passer à une logique de co-développement avec la Grèce »

Le professeur d’économie toulousain et Conseiller du gouvernement grec sera demain à Aix-en-Provence à l’invitation des Déconnomistes(*).

La Marseillaise. Quel regard d’économiste portez-vous sur le dossier grec ?

Gabriel Colletis. Un regard confiant mais néanmoins prudent. Nous sommes au paroxysme de la situation. Lundi, quel que soit le résultat du référendum, il faudra aborder la question de la dette qui aujourd’hui n’est considérée que comme un problème financier.

La Marseillaise. Quelles sont vos propositions ?

Gabriel Colletis. Toutes les propositions actuelles y compris celle des Grecs eux-mêmes consistent à discuter du ré-échelonnement de la dette, du niveau des taux d’intérêt. Yanis Varoufakis, Ministre des Finances, propose par exemple de moduler les taux d’intérêt en fonction du taux de croissance. Avec deux autres économistes, nous avons proposé au numéro 2 du gouvernement grec, Yanis Dragasakis, de profondément changer de regard sur la dette. Ça signifie qu’on transforme une grande partie de la dette grecque en certificats d’investissements. Les créanciers ne seraient donc plus des prêteurs mais des investisseurs n’attendant pas un retour immédiat. Cela permettrait d’orienter la Grèce vers un nouveau modèle de développement générant des revenus, donc de nouvelles recettes fiscales… La France et l’Allemagne, détenant une bonne partie de la dette grecque, il serait donné une préférence à l’achat de matériel et de services à ces deux pays dans le cadre des investissements à réaliser. Il s’agit de passer à une logique de co-développement avec la Grèce.

La Marseillaise. Quels seraient les grands axes de ce nouveau modèle de développement ?

Gabriel Colletis. La mère de toutes les faiblesses de l’économie grecque, c’est le très faible développement de son industrie et de son agriculture. Lorsque les Grecs consomment ou investissent, ils achètent massivement à l’étranger. Il ne s’agit pas de faire de la Grèce une plate-forme exportatrice mais de développer son appareil productif de façon à ce qu’il soit en mesure de répondre aux besoins fondamentaux de la population. Dans le même mouvement, il faut mettre en œuvre une transition écologique préservant les ressources naturelles et valorisant les circuits-courts.

Propos recueillis par La Marseillaise, le 2 juillet 2015

(*) 10h-12h « Que retenir de l’expérience du gouvernement de Syriza ? », place d’Albertas, Aix-en-Provence.

Henri Bascunana. « Militer pour le ferroviaire »

le 27 juin 2015

Henri Bascunana. « Militer pour le ferroviaire »

Syndicaliste à la CGT cheminots, il sera présent aux débats organisés pendant la fête du PCF de Fabrégoules, qui se tient à Septèmes-les-Vallons aujourd'hui.

Pour Henri Bascunana, syndicaliste à la CGT cheminots, la participation à la fête offensive de Fabrégoules, aujourd'hui à Septèmes, est plus qu’une évidence. Entretien.

La Marseillaise. Quel est le sens de votre participation à cette manifestation ?

Henri Bascunana. Je participe à une initiative du PCF 13 et des cheminots communistes de Marseille. Face aux attaques dont est victime le service ferroviaire, nous souhaitons informer le plus grand nombre d’usagers et de citoyens. Nous voulons réitérer notre opposition à la loi ferroviaire du 4 août et à la loi Macron de libéralisation des autocars.

La Marseillaise. Pourquoi choisir le thème « le train un investissement d’avenir » ?

Henri Bascunana. Car la loi de libéralisation des autocars et la suppression des trains d’équilibre du territoire (TET) est en totale contradiction avec les objectifs du gouvernement notamment en matière d’écologie et de développement durable. Europe Écologie-les Verts sont d’accord avec le PCF sur ce point. Il suffit de donner à la SNCF les moyens d’exister. Il faut développer le service public.

La Marseillaise. Pourquoi ce type de trains est-il un sujet de préoccupations ?

Henri Bascunana. Les TET sont le lien entre les lignes TER et les TGV. Ils relient les petites et moyennes gares et fournissent un service public important pour le développement des régions. Mais le gouvernement a commandé un rapport sur les lignes TET. Les premières conclusions, même si elles réaffirment l’importance des TET, préconisent néanmoins leurs suppressions. Cela ne fera qu’aggraver l’enclavement de certains départements.

La Marseillaise. La dette de la SNCF sera-t-elle aussi abordée lors des débats ?

Henri Bascunana. Aujourd’hui elle est de 40 milliards d’euros. C’est en grosse partie une dette d’État contractée pour effectuer des investissements anciens. Mais l’État refuse de prendre cette dette à sa charge et la laisse à la SNCF. Nous voudrions que cette dette soit déclarée dette d'État. Il faut savoir que la SNCF rembourse 1,5 Mds d’euros, rien qu’en intérêt chaque année, alors qu’il faudrait 1,5 Mds d’euros pour rénover le réseau et investir dans le développement des équipements. Quand on nous dit qu’il n’y a pas d’argent pour nous, c’est de la démagogie.

La Marseillaise. Quelle est la portée politique de votre mouvement ?

Henri Bascunana. Nous souhaitons un élargissement de nos partenaires politiques. Notre objectif est que demain les initiatives en faveur du ferroviaire ne soient pas seulement le fait du PCF mais aussi des syndicats et d’autres partis politiques. Pour ce qui est des régionales, nous espérons que le ferroviaire sera un des gros sujets de campagne puisque que les TER sont le budget le plus important de la Région Paca.

Propos recueillis par Alexis Verdet (La Marseillaise, le 27 juin 2015)

A propos de la création de la Sécurité sociale. Rétablir d'urgenge l'histoire

le 25 mai 2015

A propos de la création de la Sécurité sociale. Rétablir d'urgenge l'histoire

Prenons les devants… Lors de l’hommage national du 70ème anniversaire de la sécu (si jamais il est rendu !!!!!…), attendez vous encore et ceci malgré l’énorme travail fait pour rétablir l’histoire, à ce que les medias disent que la sécurité sociale a été fondée par Pierre Laroque. (Ainsi qu’il est répété et enseigné constamment…). Ce qui est curieux c’est que lorsque l’on évoque une loi, on lui donne toujours généralement le nom du Ministre qui l’a promulguée et non du fonctionnaire qui a participé à sa mise en place. Ainsi dit-on : Loi Macron, Loi Juppé ou Loi Weil par exemple. Et bien non, là on vous dira loi Laroque qui n’était que le fonctionnaire d'Ambroise Croizat (directeur de la sécurité sociale). On ne va évidemment pas donner à une institution enviée dans le monde entier et que socialistes, patrons et droite s’évertuent à casser, le nom d’un Ministre communiste. Et pourtant c’est lui, lui le bâtisseur de ce beau conquis social de Novembre 1945 à juillet 1946 alors qu’il est Ministre du travail et de la Sécurité Sociale (jusqu’au 4 mai 1947).

D’autres y verront encore une création de De Gaulle… oui mais, voilà, De Gaulle avait déjà démissionné (15 janvier 1946) lorsque Ambroise Croizat, après avoir conçu les lois (de création de la sécu) ), mit en place les 138 caisses avec la CGT et le peuple de France. (Malgré l’opposition violente de la droite, des assurances privées, des médecins, des patrons, des notables mutualistes, de la CFTC.) De plus De Gaulle sera le premier à la casser en octobre 1967 par le biais des ordonnances Jeanneney qui suppriment les élections démocratiques des caisses, divisent la sécu en trois branches et établissent le paritarisme qui donne la gestion aux patrons.

Juste une petite vérité a rétablir : Pierre Laroque n’est que le commis d’écriture, je le répète: le fonctionnaire, qui mit en forme l’ordonnance portant création de la Sécurité sociale du 4 octobre 1945. Cette ordonnance est une émanation directe du Conseil National de la Résistance et de la réflexion et conception collective menées sous la maîtrise d’œuvre d'Ambroise Croizat dès sa nomination comme Président de la Commission du Travail à l’assemblée consultative (juin 1943) du Gouvernement provisoire à Alger. Et ceci en lien très étroit avec les services du ministère de la Santé dirigé par François Billoux, autre Ministre communiste (de septembre 1944 à novembre 1945) jamais cité lorsque l’on parle de la sécurité sociale.( là encore si l’on devait attribuer la paternité de l’ordonnance, c’est à François Billoux qu’il faudrait la donner). Pierre Laroque ne prendra d’ailleurs ses fonctions qu’en septembre 1944, comme fonctionnaire de… François Billoux… Rappelons encore utilement qu'il n'y aurait jamais eu de sécurité sociale (ou autres grandes reformes sociales de la libération) s'il n'y a avait pas eu un rapport de force pour l'imposer : 29% des voix au PCF, 5 millions d’Adhérents à la CGT, une classe ouvrière grandie par sa résistance héroïque, un patronat sali par sa collaboration.

Il est difficile d’admettre la réalité de l’Histoire et surtout l’actualité brûlante et la modernité d’un homme comme Ambroise Croizat à l’heure où droite, patronat et socialistes veulent privatiser ce bien national qu’est notre belle sécurité sociale. Le meilleur hommage que nous pouvons rendre à celui que l’on baptisa justement « le Ministre des travailleurs » pour ce 70ème anniversaire est de nous battre sans cesse partout pour que la Sécurité sociale ne soit pas une coquille vide livrée au privé mais qu’elle reste ce qu'Ambroise Croizat et le peuple de France qui l’ont bâtie ont voulu qu’elle soit : un vrai lieu de solidarités, un rempart au rejet, à la souffrance et à l’exclusion.

Michel Etievent

 

Robert Mencherini. « Marseille, capitale de la Résistance »

le 21 mai 2015

Robert Mencherini. « Marseille, capitale de la Résistance »

Aujourd’hui de 18h30 à 21h, l’historien donnera une conférence sur la Libération de Marseille à la Maison de la Région.

La Marseillaise. Vous êtes l’auteur de la série de livres Midi rouge, ombres et lumières, en quoi consistera votre conférence ?

Robert Mencherini. Ce sera une sorte de compte-rendu du dernier des quatre tomes intitulé La Libération et les années tricolores (1944-1947). Dans ce volet j’aborde la lutte des résistants contre le régime de Vichy et l’occupant allemand, ainsi que la transition vers un régime républicain.

La Marseillaise. L’ensemble de votre série est focalisé sur les Bouches-du- Rhône, y a-t-il des spécificités propres à cette région sur cette période ?

Robert Mencherini. Je considère que Marseille a été une grande capitale de la Résistance. Notamment parce qu’elle avait le seul port de France en zone libre, qui a permis à de nombreuses personnes de rejoindre l’Afrique ou le continent américain. De plus, tous les courants anti-nazi et antifascistes étaient présents dans la région, ce qui a facilité le développement de la Résistance. Marseille et sa région ont mené une lutte particulièrement audacieuse compte tenu du fait qu’ils avaient peu d’armes et de combattants. Après le débarquement allié, en quatorze jours, la ville s’est défaite du joug de l’occupant.

La Marseillaise. Après cela, comment s’est déroulé la transition vers le pouvoir républicain ?

Robert Mencherini. Le mérite revient pour beaucoup à Raymond Aubrac, commissaire régional de la République. Il avait tous les pouvoirs. Sa tâche était de relancer l’économie, assurer la reconstruction, le relogement ainsi que le ravitaillement. Ensuite ce sont trois partis de gauche qui ont pris la relève : le Parti Communiste Français (PCF), le Mouvement Républicain Populaire (MRP) et la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO). C’est ce qui explique les avancées sociales comme la sécurité sociale, le droit au travail etc. Ce travail a été mené conjointement avec les syndicats. J’ai vraiment essayé d’aborder toutes les facettes de cette période…

La Marseillaise. Justement, vous traitez également de la culture, la presse…

Robert Mencherini. Oui, le débarquement allié a été accompagné du retour de la culture américaine, notamment avec le cinéma, le jazz et la musique en général. Cela a permis à l’art de se remettre à fleurir à Marseille. D’ailleurs, artistes et journalistes se côtoyaient souvent sur le cours d’Estienne d’Orves. La place accueillait les trois journaux de l’époque dont La Marseillaise, qui a eu un rôle important dans l’information pendant la Résistance et après la Libération.

La Marseillaise. Pour rédiger quatre volumes aussi détaillés, quels types de sources avez-vous sollicité ?

Robert Mencherini. Cela fait plus de quarante ans que je travaille sur ce sujet donc j’ai beaucoup d’interviews. Ce sont essentiellement les archives de justice et de police que j’utilise. Étant donné qu’ils faisaient des saisies, nous avons beaucoup de matériel de la Résistance à disposition.

Propos recueillis par Thomas Carratu (La Marseillaise, le 21 mai 2015)

Jean-Pierre Cavalié. « On va continuer à enfermer et à contrôler »

le 19 mai 2015

Jean-Pierre Cavalié. « On va continuer à enfermer et à contrôler »

Pour le délégué régional Paca de la Cimade, l’Europe et la France s’entêtent à fermer les frontières alors qu’il est urgent d’augmenter les capacités d’accueil des demandeurs d’asile.

Jean-Pierre Cavalié est délégué régional Paca, à Marseille, de la Cimade. La Cimade s’implique dans l’aide juridique en droit des étrangers et de la nationalité, et de façon notoire en direction des étrangers en situation irrégulière.

La Marseillaise. Que vous inspire a priori le débat relancé au sénat sur le projet de loi sur le droit d’asile ?

Jean-Pierre Cavalié. Dans le projet de loi, j’ai vu des choses. Et ce que je vois, c’est que l’on va continuer à contrôler et enfermer. Ce que je peux dire, c’est qu’on va continuer la banalisation de l’enfermement, la stigmatisation et la criminalisation de gens qui sont en danger, qu’on présente comme des dangers pour nous. C’est à mettre en résonance avec une autre loi qui vient de passer [sur le renseignement, ndlr] : c’est la surveillance, le contrôle, tous azimuts. Et on a commencé par les étrangers. On présente maintenant les étrangers comme des dangers pour justifier qu’on va contrôler tout le monde…

La Marseillaise. La tendance semble nettement au repli, en France et en Europe, face au nombre des demandes d’asile. N’est-ce pas à contre-courant de vraies urgences ?

Jean-Pierre Cavalié. Quand on sait, par rapport au conflit syrien, qu’il y a presque 4 millions de réfugiés à l’extérieur de la zone de conflit, presque 2 millions en Turquie, 1,2 million en Jordanie, au Liban, etc. et qu’il y en aurait 5.000 accueillis en Europe et que la France se serait fixée l’accueil de 500, c’est simplement honteux. Rocard avait dit : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » Mais il a dit aussi : « Il faut que chacun en prenne sa part. » Dans le contexte actuel, la première partie de la phrase est hors-sujet, mais, en plus, on ne prend même pas notre part. C’est inacceptable. C’est un déni du droit d’asile. Pour faire passer la décision, on présente les demandeurs d’asile comme des migrants clandestins. On les bloque avant même qu’ils arrivent en Europe. Comment peut-on dire à ceux qui sont morts en mer de faire une demande de droit d’asile ? On ne leur a jamais demandé et ils n’ont pas eu l’occasion de le dire. Nous sommes aussi devant un déni de droit par rapport à la Convention de Genève. Quelqu’un qui demande l’asile n’a pas à montrer des papiers en règle. Il a le droit de fuir comme il peut et dans certains cas sans avoir bien entendu eu le temps ni la possibilité d’avoir eu le temps d’aller régler des histoires de papiers. Évidemment, on peut, sans papiers, aller demander l’asile et être dans le droit.

La Marseillaise. Cette confusion entre immigration clandestine et droit d’asile semble gagner beaucoup de dirigeants européens. Dernièrement, les refus de la proposition des quotas par M. Junker en est-elle une illustration ?

Jean-Pierre Cavalié. Il y a deux questions. Quand on a signé la Convention de Genève, on n’a pas le droit d’y apposer la notion de quotas. On s’engage à accueillir et protéger des gens qui sont en demande d’asile et, dans l’esprit de la Convention, ce n’est pas le nombre qui compte. C’est la situation de la personne. Par rapport à ça, on ne peut pas accepter les quotas et M. Valls, chez nous, ne fait que répéter ce que dit la convention. En revanche ça fait des années qu’on s’en tient aux mêmes chiffres alors que nous vivons une période de très forte demande, où des millions de gens fuient des pays quand même relativement proches de nos frontières. Ça ressemble, de fait, à une politique de quotas. Ce qu’a été évoqué par M. Juncker, c’est la question de la répartition. Comme il le dit, de répartition de la « charge ». Là, il y a une question de justice. C’est celle de la réinstallation. Il y a des pays qui vont être forcément aux frontières immédiates, comme la Grèce ou l’Italie. Et il serait légitime de dire : « Il faut que dans l’ensemble des pays européens, étant donné que les frontières sont ouvertes et qu’on se serre les coudes, on répartisse un petit peu la charge. » Là-dessus je suis d’accord [avec M. Juncker] mais je n’en pas parlerai pas en termes de quotas. Les quotas sont inacceptables. La notion de répartition se défend. Il me semble que le Président de la Commission européenne parlait plutôt de ça.

La Marseillaise. L’Europe devrait aller plus loin dans cet esprit de répartition ?

Jean-Pierre Cavalié. Sans doute, mais il me semble qu’il faut avant tout tenir compte de l’avis des réfugiés. Les demandeurs d’asile ne sont pas des marchandises, ce sont des êtres humains. Il est légitime de tenir compte de leur demande.

La Marseillaise. Dans ce contexte, les dispositifs de sauvetage en mer, tel que Triton, ou ceux destinés à lutter contre les réseaux de passeurs, seraient surtout des opérations de bonne conscience ?

Jean-Pierre Cavalié. Parmi les gens qui traversent la Méditerranée, 80% sont des demandeurs d’asile. Là-dessus, on ne parle pas de passage clandestin. On parle de gens qui sont piégés, notamment à cause de la politique de la fermeture des frontières de l’Union européenne. Et on verse des larmes de crocodile. On se lamente sur les morts en mer, alors qu’on a de très, très lourdes responsabilités. Parce que les dirigeants européens ont leur part dans les conflits qui ont lieu dans les pays fuis par les réfugiés. Si on ouvre les frontières il n’y aura pas d’invasion. Les études qui ont été faites à ce sujet le montrent. L’effectivité du droit d’asile, pour lutter contre les réseaux, ça passe d’abord par ça.

Entretien réalisé par Claude Gauthier (La Marseillaise, le 19 mai 2015)