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Henri Malberg. « La lutte communiste, c’est avancer »

le 19 mai 2015

Henri Malberg. « La lutte communiste, c’est avancer »

Après 70 ans de militantisme, il sera à Marseille jeudi pour présenter son dernier ouvrage.

Dans un livre d’entretien intitulé Incorrigiblement communiste(*),  Henri Malberg, ancien dirigeant du PCF et toujours militant évoque l’avenir d’un engagement qu’il n’a pas renié après 70 ans de combats mais aussi de doutes et de débats. Il sera présent jeudi à Marseille.

La Marseillaise. Pourquoi ce titre ?

Henri Malberg. Après mon livre Incorrigiblement optimiste, mon éditeur m’a proposé ce clin d’œil. Je suis devenu communiste gamin, au lendemain de la seconde guerre mondiale. J’ai passé ma vie à militer et à réfléchir. Je ne suis pas aveugle mais incorrigible.

La Marseillaise. Pourquoi avoir choisi la forme d’un entretien ?

Henri Malberg. Tout à fait par hasard. À la suite d’une rencontre dans une école de journalisme, deux jeunes très curieux de la vie politique et pas du tout engagés dans un parti m’ont appelé pour faire un livre. Nous nous sommes vu dix fois trois heures. Ils ne m’ont rien passé et moi je crois que je n’ai rien  contourné. On ne s’est pas fait de cadeaux mais on s’est respecté.

La Marseillaise. En quoi le communisme est-il pour vous « plus que jamais une idée neuve » ?

Henri Malberg. Cette société ne peut pas continuer comme ça. Elle mène le monde vers un grand malheur. Les injustices et inégalités sont au point maximal : des dizaines de milliers de personnes gagnent entre 500 et 1.000 fois le Smic dans ce pays. C’est un écart jamais atteint depuis que le capitalisme existe. Ce système est infiniment puissant et en même temps à bout de souffle, peut-être comme l’était il y a 30 ans le socialisme auquel j’ai cru. Il y a peu, j’ai été malade et soigné comme un milliardaire aux États-Unis mais gratuitement par l’hôpital public. La sécurité sociale, inventée par le CNR est formidablement actuelle. Elle repose sur une idée communiste : chacun donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Il faut des forces pour lutter pour plus de justice et d’égalité, le Parti communiste n’est pas la seule –heureusement– mais c’est une force vitale. Il est animé par des dizaines de milliers de personnes qui dans la vie et les entreprises sont debout. Les rêveurs d’avenir doivent savoir répondre aux questions immédiates et tendre la main à tous ceux qui veulent faire un pas en avant.

La Marseillaise. Que vous inspire la chasse aux communistes en Ukraine ?

Henri Malberg. Une énorme tristesse. L’histoire donne parfois le sentiment qu’elle retourne en arrière mais elle n’y parviendra pas. Chez nous, les millions de gens qui se reconnaissent dans le FN ou ce qui remonte en Ukraine de l’armée qui a combattu l’Union soviétique aux côtés des nazis, témoignent de la situation. La crise est si profonde que les monstres sont partout. Mais j’ai confiance dans les peuples qui tôt ou tard pointent le bout de leur nez.

La Marseillaise. Quels seraient pour vous les contours d’un communisme de notre temps ? Les technologies modernes ouvrent-elles de nouveaux horizons de partage ?

Henri Malberg. Le communisme n’est pas un but à atteindre comme je l’ai pensé. La lutte communiste c’est avancer. Le communisme de notre temps c’est bien sûr défendre la mise en œuvre des grandes idées de la Révolution française en avance de plusieurs siècles : liberté, égalité, fraternité. Dans la société comme au travail, les espaces de démocratie se réduisent. Il faut rendre le pouvoir au peuple. La Révolution numérique ouvre un espace inédit pour croiser initiative individuelle, co-élaboration et partage. Le communisme frappe à la porte sans que l’on s’en rende toujours compte. Tout cela tire vers une société où le collectif, la mise en commun, marchent. Être militant c’est mettre cela en évidence, ne pas renoncer, ne pas baisser le nez. Le pessimisme historique est l’arme la plus forte du système.

Propos recueillis par (La Marseillaise, le 19 mai 2015)

(*) Éditions de l’atelier, 203 p.

François Cosserat. « Mettre l’accent sur le développement partagé »

le 24 avril 2015

François Cosserat. « Mettre l’accent sur le développement partagé »

Le Président du Mouvement de lutte pour l’environnement était de passage hier à Marseille.

À l’heure où le concept de transition énergétique fait florès, le Président du Mouvement national de lutte pour l’environnement  (MNLE), François Cosserat, prône surtout le concept de développement partagé. De passage à Marseille, ce dernier a par ailleurs tenu à évoquer la réhabilitation de l’étang de Berre. Entretien.

La Marseillaise. Vous estimez que la réhabilitation de l’étang de Berre n’a que trop tardé…

François Cosserat. On sait ce qu’il faudrait faire et on ne le fait pas. Pour limiter l’apport en eau douce dans l’étang de Berre, on a réduit l’activité de la centrale EDF de Saint-Chamas. Or les études montrent que la construction d’un canal de dérivation permettrait à la fois de réduire les dommages causés à l’étang mais aussi de faire tourner à plein la chaîne hydro-électrique de la Durance. Alors qu’on discute beaucoup d’énergies renouvelables, on oublie que nous avons là cette possibilité. Selon les estimations, nous perdons de 600 millions à un milliard de kilowatts heure par an. Le coût de l’ouvrage serait de 1,5 milliard d’euros mais il serait compensé par les recettes nouvelles. C’est pourquoi nous proposons qu’EDF en soit le maître d’ouvrage. C’est gagnant-gagnant. Nous avons écrit en ce sens une lettre au Préfet et rien ne bouge.

La Marseillaise. Quel regard portez-vous sur deux autres dossiers environnementaux « lourds » de notre département : les boues rouges et Eon à Gardanne ?

François Cosserat. Pour les boues rouges, le ministère a eu raison de stopper l’enquête publique, il faut donner à Alteo le temps de pallier les insuffisances de son dossier. Pour Eon [centrale à charbon convertie en unité de biomasse, NDLR], c’est un problème de stratégie. Ce dossier a été mal ficelé : le rendement n’est que de 40% sans compter les 800.000 tonnes de biomasse obtenues sur le marché international. C’est l’ensemble du process industriel qui doit être tourné vers une bonne utilisation.

La Marseillaise. La 21e conférence des Nations unies sur le changement climatique se tient à Paris en décembre. Comment comptez-vous l’aborder ?

François Cosserat. Nous ne sommes pas invités à la conférence officielle mais nous allons faire en sorte d’avoir une expression pour que l’accent soit mis, au-delà de la limitation des émissions, sur la question d’égalité d’accès au développement et aux ressources énergétiques. C’est la question du développement partagé qui doit être abordée. Et pour y parvenir, nous voyons quatre chantiers à mener. Le premier sur le confort thermique, en mettant l’habitant au centre du processus et en soulageant le budget des plus pauvres. Le deuxième, ce sont les déplacements. Comment discuter de solutions alternatives quand on a une SNCF avec 45 milliards de dette ? Il faut l’effacer. Le troisième, c’est l’agriculture et l’alimentation avec la promotion d’une agriculture paysanne de proximité. Enfin, l’industrie, avec la question de la relocalisation des moyens de production à partir de ressources renouvelables de proximité. Ce que nous proposons c’est un renversement de logique, d’une économie de l’offre vers une économie de la demande. En clair, pour sauver la planète et les hommes en même temps, nous devons sortir du capitalisme.

Propos recueillis par Mireille Roubaud (La Marseillaise, le 24 avril 2015)

Repères

6 journées seront consacrées par le MNLE à la préparation de la conférence environnementale des Nations unies dans le cadre de sa 20e université d’été organisée du 29 août au 4 septembre à Saint-Raphaël (Var). Au programme, des débats sur l’habitat, la fiscalité ou encore l’agriculture.

3 types de pollutions touchent actuellement l’étang de Berre : l’eutrophisation, la contamination chimique et des apports excessifs et variables d’eau douce, indique la structure de gestion du site, le syndicat mixte appelé Gipreb (Gestion intégrée, prospective et restauration de l’étang de Berre).

88 milliards de dollars de subventions par an sont octroyés au financement de l’exploitation des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) par les pays du G20. Dans le même temps, les États s’engagent à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 40 à 70%.

La Marseillaise, le 24 avril 2015

Christian Langeois. « 3.800 hommes morts dans la mine »

le 16 avril 2015

Christian Langeois. « 3.800 hommes morts dans la mine »

Auteur d’un ouvrage sur les mineurs d’Auschwitz.

Biographe du dirigeant de la CGT Henri Krasucki et de la résistante Marguerite Buffard-Flavien, Christian Langeois est cette fois l’auteur d’un ouvrage consacré au sort méconnu de 6.000 déportés contraints au travail dans une mine de charbon qu’il présente demain à Marseille.

La Marseillaise. 70 ans après la libération des camps de déportation, vous signez un ouvrage consacré aux mineurs d’Auschwitz. Qui étaient-ils ?

Christian Langeois. Pendant l’été 1942, l’effort de guerre nazi est très important. Il y a besoin de main d’œuvre pour alimenter la production industrielle. Dans le projet d’extermination de masse des juifs que poursuivent les nazis, ils sélectionnent en fonction des besoins 6.000 hommes sur leur forme physique au fur et à mesure de l’arrivée des convois de déportés pour les envoyer travailler à la mine de charbon de Jawischowitz à Auschwitz. 3.800 y perdront la vie. 700 arrivent de France. Dans ce camp de travail une spécificité est notable : l’encadrement est constitué par des non-juifs de droit commun ou des politiques allemands parmi lesquels de nombreux anti-fascistes qui s’étaient réfugiés en France et qui avaient été internés dans les camps du Vernet et de Gurs. Ce profil particulier, apporté par leur expérience des camps et leur culture militante, imprime un certain esprit dans la mine avec des formes de solidarité bien modestes mais réelles. Les déportés essentiellement des majeurs tentent par exemple de protéger les adolescents arrivés de Hongrie. À l’été 1944, on recense des actes de résistance, des sabotages notamment et des tentatives d’évasions.

La Marseillaise. Ce nouveau livre n’est pas sans lien avec la biographie de Henri Krasucki dont vous êtes l’auteur.

Christian Langeois. Oui Henri Krasucki faisait lui-même partie de ces déportés affectés à la mine de charbon d’Auschwitz. Jeune engagé dans la résistance armée au sein des FTP MOI, il est pris en mars 1943 avec d’autres camarades. Il est torturé puis mis au secret à Fresnes. Un matin on vient le chercher. Il est persuadé qu’il va être fusillé ou alors à nouveau torturé. En réalité, il est déporté comme juif et à son arrivée, il est affecté avec deux de ses camarades Sam Radzinski et Roger Trugnant à la mine de charbon. C’est en travaillant sur la vie de Henri Krasucki que j’ai décidé de m’intéresser à ce camp de travail complètement absent de l’historiographie. Lorsqu’il en parlait, Henri Krasucki affirmait que ce moment de son existence passé au sein de cette mine avait été pour lui une école contre le sectarisme et qu’à l’âge de 20 ans, il y avait acquis autant d’expérience qu’un vieillard sur l’humanité et ce dont elle est capable. Le pire comme le meilleur.

La Marseillaise. À la lumière de vos travaux, que vos inspirent les propos réitérés de Jean-Marie Le Pen sur les camps ?

Christian Langeois. Ils sont insoutenables au regard de l’atrocité que constitue l’extermination planifiée de millions de juifs. Je pense à ces hommes qui ont eu la « chance » de ne pas être gazés sur le champ et qui sont revenus témoigner de ce qu’ils ont subi. Portés par des idéaux divers, ils ont réussi dans ces camps à se parler, à s’organiser pour se partager un morceau de pain. Ce sont leurs valeurs de solidarité qui ont imprégné toute une génération à la Libération.

Propos recueillis par Léo Purguette (La Marseillaise, le 16 avril 2015)

Gérard Filoche. « Vers le licenciement généralisé sans motif »

le 04 avril 2015

Gérard Filoche. « Vers le licenciement généralisé sans motif »

Le « frondeur » du PS condamne la réforme sur le marché de l’emploi que le gouvernement s’acharne à faire passer et prévient : le congrès à venir du PS pourrait modifier la donne.

Le militant socialiste contestataire, spécialiste du droit du travail, se montre très critique vis-à-vis de la politique de l’emploi menée par le gouvernement Hollande-Valls et notamment de sa réforme du marché de l’emploi.

La Marseillaise. Patronat, syndicats et gouvernement amorcent un bilan de la réforme du marché du travail de 2013. L’exécutif dit qu’il compte aller plus loin. A priori ça vous inspire quoi ?

Gérard Filoche. Je suis sceptique sur les conditions de ces sommets. Parce que le patronat n’a aucune intention de négocier, sauf pour imposer des reculs. Il prend à part le syndicat qui lui plaît, avant, pendant ou après, et il ne parle pas aux autres. Ça ne permet pas une concertation ni une négociation : il s’agit seulement d’un rendez-vous formel, qui a d’ailleurs échoué la dernière fois. Dans ces conditions, on ne voit pas comment on pourrait avancer dans un bon sens.

La Marseillaise. L’une des grandes craintes affichées par les partenaires sociaux concerne la modification de contenu des CDI. Notamment en ce qui concerne les motifs de licenciements pré-établis. Vous partagez cette inquiétude ?

Gérard Filoche. Déjà, c’est contraire à la convention 158 de l’OIT [Organisation internationale du travail, ndlr]. Il n’y a pas de motif automatique de licenciement permis par cette convention. Ils veulent arriver à la situation du licenciement sans motif. L’UMP a déposé un amendement pour essayer de tirer la loi Macron dans ce sens. Vous connaissez le film « In the air », avec George Clooney ? [Une satyre sociale dans laquelle le célèbre acteur américain incarne un professionnel du licenciement de masse au profit d’un prestataire spécialisé, ndlr] Et bien c’est le but du Medef : ils ont tout essayé. Ils ont déjà essayé le contrat « nouvelle embauche » avec Villepin, le contrat « première embauche » encore avec Villepin, la rupture conventionnelle, qui est sans motif, et là ils cherchent à faire en sorte que –c’est la loi Macron, article 103– lorsque le tribunal donne raison au licencié, ça n’ait aucune incidence ni sur sa réintégration, ni sur son indemnisation. En fait, ils essaient de s’approcher le plus près possible du licenciement généralisé sans motif. Mais ils ont du mal parce que, justement, il faut dénoncer cette convention. Ce que Gattaz, d’ailleurs, ne cesse de réclamer. C’est le truc tordu sur lequel ils disent : « Pour embaucher il faut pouvoir débaucher. » Moi je n’ai jamais compris ça. Il faut être pervers dans sa tête, quand on embauche quelqu’un, de subordonner son embauche au fait de pouvoir le débaucher. Il y a un slogan qui a été inventé par Gattaz père, au milieu des années 80, et qui disait : « Si vous nous facilitez la débauche, on augmentera les embauches. » Ce gars, à l’époque […], était parvenu aussitôt à un pic de 400.000 licenciements de plus, dans l’année qui avait suivi. Par conséquent, ma thèse, c’est que plus on facilite le licenciement, plus il y a de chômage. La facilitation du licenciement ne facilite pas l’embauche, elle facilite la débauche.

La Marseillaise. Après les dernières élections, le couple Valls-Hollande est plus que jamais sur le grill quant à la question du chômage. Quelles sont leurs marges de manœuvre ?

Gérard Filoche. Valls a déjà reculé mercredi. Il avait annoncé une loi « Macron 2 ». Macron faisait le forcing pour en rajouter des louches à ses 106 articles toxiques. Puis Valls a dit : « Non, finalement il n’y aura pas de loi Macron 2. » Ça ne s’explique que par une seule chose : la pression du congrès du Parti socialiste. Jusqu’au 21 mai, ils ne peuvent pas faire n’importe quoi. Les 106 articles toxiques arrivent le 12 avril au Sénat. Ça va durer 15 jours jusqu’au 27. Ensuite il y a une semaine de vacances, puis la commission mixte paritaire, et ça viendra à l’Assemblée le 8, 10, ou 12 mai. Deux solutions : soit ils vont très vite et ils reprennent le même texte en une journée et ils font le 49-3, à 8 jours du vote des militants. Soit ils attendent le vote des militants le 21 mai pour le faire. Le calendrier qu’ils vont fixer sera à la hauteur de leurs craintes. Avec la menace du congrès du PS. Avec les 6 contributions de Maurel à Benoît Hamon en passant par la motion 4, les écolos du PS… nous allons faire une motion commune que l’on va finaliser samedi et dimanche, et ça fait 40% du Parti. D’accord ça ne fait pas une majorité. Mais si Aubry sort du bois, on va passer les 50%. Donc Cambadélis est viré, voilà ! Ils sont obligés de marcher sur des œufs !

Entretien réalisé par Claude Gauthier (La Marseillaise, le 4 avril 2015)

Niveau de chômage sans égal

Le taux de chômage, qui a atteint la barre des 10% de la population active fin 2014, devrait continuer à augmenter jusqu’à 10,2% mi-2015 en métropole, selon des prévisions de l’Insee présentées jeudi. Il retrouverait ainsi un niveau inégalé depuis près de 20 ans, fin 1997. Au début de cette année-là, le chômage avait atteint son pic historique de 10,4%. En incluant l’outre-mer, le chômage, qui touchait 10,4% de la population active à la fin de l’année dernière, culminerait cet été à 10,6%, prévoit l’Institut national de la statistique, qui mesure le chômage au sens du Bureau international du travail. Ces prévisions, conformes à celles publiées en décembre 2014, ne laissent pour l’heure pas entrevoir l’embellie attendue par le gouvernement pour 2015.

Le Ministre du Travail, François Rebsamen, « pense » en effet que l’année 2015 sera « meilleure que l’année 2014 » en matière de lutte contre le chômage, et qu’elle devrait « être le tournant ». Le Ministre s’attend à « un début de régression » à « la fin de l’année ». En revanche, l’Insee table sur une croissance de 0,4% au premier trimestre de cette année et de 0,3% au deuxième trimestre, des chiffres de bon augure pour le gouvernement, qui espère une croissance annuelle supérieure à 1%.

Pour autant, « tant que nous n’avons pas une croissance plus forte, autour de 1,5%, il est difficile de créer de l’emploi », a récemment admis le Premier Ministre Manuel Valls.

La Marseillaise, le 4 avril 2015

Anastassia Politi. « La volonté d’un nouvel équilibre politique »

le 01 avril 2015

Anastassia Politi. « La volonté d’un nouvel équilibre politique »

Elle est membre fondatrice de Syriza Paris, le parti grec arrivé au pouvoir le 25 janvier dernier. Petit tour d’horizon des questions qui se posent pour faire entendre la voix du peuple.

Anastassia Politi est une artiste grecque qui mène sa carrière de comédienne et metteur en scène à Paris. Elle est membre fondatrice de Syriza Paris. Invitée jeudi au cinéma Diagonal à Montpellier par le collectif local de solidarité avec le peuple Grec(*), elle apporte un éclairage sur la position politique du parti Syriza et l’espoir qu’il suscite pour tous les peuples d’Europe, deux mois après son arrivée au pouvoir en Grèce.

La Marseillaise. Quelle analyse portez-vous sur les conditions de votre arrivée au pouvoir le 25 janvier dernier ?

Anastassia Politi. L’accession de Syriza au pouvoir est le fruit d’un long processus historique. Notre parti trouve ses origines dans une large coalition de partis de gauche et d’extrême gauche. Le ciment de cette alliance remonte au forum social de Gênes en 2001. Syriza est un parti qui revendique une position marxiste léniniste adaptée au XXIe siècle. Il faut comprendre que la gauche grecque et notamment les communistes, se sont illustrés héroïquement à travers leurs faits d’armes et leurs convictions tenaces durant le XXe siècle. Cette gauche jouit toujours aujourd’hui d’une vraie reconnaissance dans la population.

La Marseillaise. L’origine de cette soif démocratique populaire tiendrait aux braises du XXe siècle…

Anastassia Politi. Oui, après le désastre de la Seconde guerre mondiale le combat révolutionnaire s’est poursuivi, contre le nouveau pouvoir grec soutenu par les puissances anglo-saxonnes. Les résistants de gauche furent écartés une première fois. Durant les trois ans de guerre civile, la chasse aux sorcières a fonctionné à plein régime. Il suffisait d’avoir un membre de sa famille communiste pour perdre ses droits élémentaires de citoyen, comme celui d’étudier ou de travailler. Puis ce fut la dictature des Colonels extrêmement répressive qui s’inspirait ouvertement de l’idéologie fasciste avec le soutien de la CIA. Après la guerre civile et la dictature, ce qui s’est passé en janvier est la troisième possibilité d’accéder à une démocratie populaire. Elle s’est imposée par la voie des urnes, ce qui confirme que la résistance est implantée dans le cœur du peuple.

La Marseillaise. Le peuple grec se mobilise aussi face au désastre humanitaire lié au programme de sauvetage de la troïka…

Anastassia Politi. En effet le mémorandum conditionnait le plan d’aide financière à des économies et réformes qui se sont révélées catastrophiques et inhumaines. En cinq ans, les classes moyenne et ouvrière se sont appauvries de 337%. Le taux de chômage dépasse les 30%. Il est de 60% chez les moins de 26 ans. On a assisté à une vague d’émigration sans précédent des jeunes diplômés. Les services publics ont été abandonnés. Vingt-cinq hôpitaux ont fermé et beaucoup de nos médecins sont partis trouver du travail en Allemagne. La crise a aussi touché le secteur privé avec  la liquidation de 65 000 entreprises.

La Marseillaise. Le Président de la Commission J-C. Juncker oppose très frontalement les traités de l’UE à votre volonté de démocratiser la vie politique…

Anastassia Politi. En effet, on peut dire qu’il a enfin révélé la vraie nature de la dictature libérale qui tient lieu de démocratie dans l’union européenne. Ce que les peuples français, irlandais, et néerlandais ont déjà pu expérimenter en voyant leurs voix rejetées après avoir été consultés sur les traités. Le volet démocratique du programme de Syriza repose notamment sur des mesures pour combattre la corruption et l’évasion fiscale. Il passe par un soutien à la croissance économique, la création de 300.000 emplois notamment pour les jeunes. Il comporte enfin un important volet social pour fournir de l’électricité et nourrir 300.000 personnes en situation d’extrême précarité.

La Marseillaise. Alexis Tsipras mène un bras de fer pour renégocier la dette  estimée à 320 Mds d’euros. Ne sera-t-il pas contraint à faire des compromissions ?

Anastassia Politi. La BCE devait verser 7,2 Mds d’euros à la fin 2014 mais elle met le peuple grec au supplice de la goutte. La croissance de la dette depuis la crise de 2008 est le produit de l’effet combiné des cures d’austérité, qui ont plongé le pays dans la dépression, et de la spéculation financière qui fait exploser les taux d’intérêts. Les banques ont utilisé une partie de l’argent public injecté afin de les sauver de la faillite pour spéculer sur la dette grecque. Nous avons commandé un audit conduit par 15 experts indépendants pour se pencher sur la nature de la dette grecque et estimer la part légitime et illégitime.

La Marseillaise. Si le gouvernement ne trouve pas d’issue sur cette question envisage-t-il de renoncer à la monnaie unique ?

Anastassia Politi. Jusqu’ici le gouvernement se prononce pour poursuivre les négociations mais au sein du parti le débat est ouvert sur cette question. L’UE joue la carte de l’asphyxie économique. Vous savez on a déjà vécu la guerre civile et on ne souhaite pas la revivre. Ça veut dire que nous voulons avoir la paix.

La Marseillaise. Après la rencontre avec Merkel, Alexis Tsipras sera reçu par Poutine début avril. Envisagez-vous l’alternative russe comme une porte de sortie ?

Anastassia Politi. Avec la Chancelière allemande le risque est grand pour que la négociation n’aboutisse pas à un compromis. Le problème n’est pas purement financier il est idéologique. Admettre que la politique d’austérité ne fonctionne pas concerne la plupart des pays de l’Union. Ce qu’exprime Syriza c’est avant tout la volonté d’un nouvel équilibre politique. C’est une partie d’échec. Il existe une commission bi-ministérielle entre la Grèce et la Russie. L’embargo économique de l’UE contre la Russie a pénalisé l’économie grecque.  L’idée c’est que nous sommes un pays souverain et que nous avons en tant que tel la possibilité de parler à qui bon nous semble.

La Marseillaise. Les difficultés auxquelles vous vous trouvez confrontés n’entament-elles pas la mobilisation populaire sur laquelle vous vous appuyez ?

Anastassia Politi. Nous avons été élus sur un programme. Il est hors de question de l’abandonner. Je ne sais pas si nous allons trouver l’argent pour le mettre en œuvre. L’UE nous dit que notre initiative est unilatérale. C’est absurde. Nous sommes face à une crise civilisationnelle profonde et nous essayons de trouver des solutions politiques. Notre force provient d’un sentiment de dignité retrouvée même si on est encore dans la misère. Ce n’est pas le parti qui mène le peuple. Syriza est issue des mouvements sociaux et souhaite que les mouvements sociaux donnent l’orientation.

Propos recueilli par Jean-Marie Dinh (La Marseillaise, le 1er avril 2015)

Contact : solidaritaveclepeuplegrec@gmail.com.

Robert Mencherini. « Les CE ont relancé le pays à la Libération »

le 29 mars 2015

Robert Mencherini. « Les CE ont relancé le pays à la Libération »

Spécialiste de la Résistance et de la Libération, l'historien revient sur la création des comités d'entreprise. Il sera jeudi matin sur le salon CE lors d'une table-ronde.

Historien connu pour ses travaux sur la Seconde guerre mondiale, Robert Mencherini s'est notamment penché sur l'histoire de la Résistance et la Libération. A partir de 1944, la société française qui se libère met en place des réformes du programme du Conseil national de la Résistance (CNR). Parmi elles, la création des Comités d'entreprise qui donnent plus de pouvoir aux travailleurs. « A Marseille et en Provence, ce mouvement se développe fortement », indique celui qui a signé un livre sur les réquisitions d'entreprises marseillaises en 1944 par les ouvriers. Robert Mencherini reviendra jeudi matin sur cette avancée majeure lors d'une table-ronde des Rencontres du dialogue social sur le thème « Comment une institution vieille de 70 ans peut-elle faire face aux défis du XXIe siècle ? ».

La Marseillaise. Dans quel contexte social et politique, les comités d’entreprise sont-ils créés ?

Robert Mencherini. Ils entrent en vigueur après les ordonnances de février 1945 partout en France. La création des comités d'entreprise est liée à l’existence des comités de gestion de la zone Sud qui avaient été instaurés après la Libération. A Marseille, on avait carrément assisté à des réquisitions d’entreprises par les travailleurs eux-mêmes.

La Marseillaise. Comment passe-t-on de ces comités de gestion ouvrière aux comités d’entreprise ?

Robert Mencherini. Le Ministre à la Production industrielle, Robert Lacoste, envoie un télégramme à Lucien Aubrac, le commissaire de la République à Marseille, pour lui dire que l’expérience des réquisitions allait s’arrêter puisque le gouvernement provisoire du général De Gaulle allait proposer ces comités. Les CE sont la suite du mouvement des comités de gestion.

La Marseillaise. Pour autant, ces nouveaux outils de démocratie sociale avaient déjà été prônés par les mouvements de résistance, dans la clandestinité.

Robert Mencherini. Tout à fait. C’était dans l’air du temps, dans le programme du Conseil national de la Résistance où était inscrite la notion de participation des travailleurs dans la gestion de l’entreprise.

La Marseillaise. Quelle a été la réaction des travailleurs au moment de l'instauration des CE ?

Robert Mencherini. Le mouvement ouvrier a été partagé. Dans la Vie ouvrière, l’organe de la CGT, des articles se disaient favorables tout en soulignant que cela pouvait rappeler les comités consultatifs de Vichy. Puisqu’il s’agissait bien de consultation, mais pas de gestion à proprement parler. Sur Marseille, par exemple, l’entreprise Coder était en cogestion. Mais les Aciéries du Nord, sur le port, étaient carrément gérées par les travailleurs. La différence aussi, c'est qu'il n’y avait pas de comités de gestion partout, alors que la loi de 1946 permettait d’installer des CE partout.

La Marseillaise. Quel rôle ont joué les CE dans la France à peine libérée ?

Robert Mencherini. Leur rôle a été décisif dans la bataille pour la production industrielle et la reconstruction du pays. De 1945 à 1947, le comité d'entreprise est perçu comme un outil de production et de redémarrage de l’économie. Chacun met ses compétences au service de la production. Après 1947, il va plutôt devenir un instrument revendicatif contre le patronat.

La Marseillaise. Beaucoup de membres des comités d’entreprise étaient des ouvriers, certains des résistants. Comment sont-ils devenus du jour au lendemain des représentants avec un droit de regard sur la gestion ?

Robert Mencherini. Le mouvement s’est formé au fur et à mesure. Ça ne s’improvise pas. Dans les comités de gestion antérieurs, les ouvriers s’étaient souvent appuyés sur des compétences existantes, d’ingénieurs par exemple. La tâche de ces nouveaux élus n’était pas facile car ils subissaient une pression permanente des patrons. Mais attention, ces travailleurs connaissaient eux aussi très bien leur entreprise. On ne leur faisait pas avaler n’importe quoi. De plus, ils ont pu s’appuyer sur une vague d’adhésion et un taux de syndicalisation très important, notamment à la CGT.

La Marseillaise. Alors qu'ils appellent à accélérer la production, cela signifie-t-il que les comités d'entreprise laissent de côté des problématiques qui sont aussi de leur ressort, comme la sécurité et les conditions de travail ?

Robert Mencherini. Non, au contraire. La sécurité au travail était déjà à cette époque un sujet à la pointe. Comme on poussait à la production, le nombre d’accidents de travail augmentait sensiblement. L’outil productif d’après-guerre était en mauvais état et les ouvriers se sont battus pour une amélioration des conditions de travail.

Propos recueillis par Sébastien Madau (La Marseillaise, le 29 mars 2015)

A lire la série en quatre volumes de Robert Mencherini intitulée « Midi rouge, ombres et lumières, une histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône », aux éditions Syllepse.

À savoir

Salon CE : 2 et 3 avril à Marseille. Le Salon CE se tient les jeudi 2 et vendredi 3 avril à Marseille au Parc Chanot (Hall 3). Le Salon est ouvert de 9h à 17h (parking gratuit). Plus de 140 exposants sont attendus pour cette édition 2015 spéciale coïncidant avec les 70 ans de la création des comités d’entreprise. Pour plus d’informations : www.salonce.com.

Les Rencontres du dialogue social. A l’occasion du Salon CE, se tiendront les Rencontres du dialogue social. Deux matinées de débats co-organisées par Salon CE et la Marseillaise en présence de syndicalistes, d'historiens, de chefs d'entreprise, etc. Jeudi 2 avril : 9h30-10h45 : « L'importance du CHSCT dans la vie de l'entreprise et des salariés » ; 11h-12h30 : « Comment une institution vieille de 70 ans peut-elle faire face aux défis du XXIe siècle ? » Vendredi 3 avril : 9h30-10h45 : « Le CE, une conquête sociale qui a fait ses preuves » ; 11h-12h30 : « Démocratie sociale et performance des entreprises peuvent-elles faire bon ménage ? » Toute l'actualité des intervenants, en savoir plus sur les rencontres et les suivre en direct, sur l'événement Facebook "les rencontres du dialogue social SalonsCE/la Marseillaise" et sur lamarseillaise.fr.

La Marseillaise, le 29 mars 2015

Tunisie. « Je ne crois pas à des surenchères sécuritaires »

le 24 mars 2015

Tunisie. « Je ne crois pas à des surenchères sécuritaires »

Paul Alliès. Il a accompagné le processus démocratique tunisien. Le président de la Convention pour la 6e République, évoque les multiples raisons de l'attentat du musée du Bardo. « Le passage d'une longue nuit de dictature à une démocratie exemplaire a permis peut-être cet exutoire djihadiste. »

Dès les premières heures du printemps tunisien, Paul Alliès, Président de la Convention pour la VIe République (C6R) et professeur de droit émérite à l'Université Montpellier I, a été sollicité par les démocrates tunisiens. Il a accompagné le processus constitutionnel qui a abouti le 26 janvier 2014 à l'adoption de la nouvelle constitution. Entretien au lendemain de l'attentat contre le musée du Bardo.

La Marseillaise. Votre première réaction à la suite de cet attentat ?

Paul Alliès. L'attaque du Bardo me touche, nous touche particulièrement. Il est de la même nature que celui contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher où, il faut le rappeler, un Tunisien a trouvé la mort. C'est le même défi obscurantiste. Pour les Tunisiens c'est la même chose que ce qui s'est passé en France en janvier.

La Marseillaise. D'ailleurs dès mercredi soir a eu lieu à Tunis un rassemblement du même type que ceux du 7 janvier en France.

Paul Alliès. Mercredi soir, il y a eu des manifestations spontanées sur l'avenue Bourguiba, il y en aura d'autres dans une société qui est extrêmement comparable à la nôtre du point de vue des partis, de leur nombre… Le musée du Bardo est un emblème culturel très puissant, haut en signification depuis Bourguiba sur l'histoire de la Méditerranée et l'époque de Carthage. Il jouxte l'Assemblée nationale où l'on délibérait à l'heure de l'attentat d'une loi anti-terroriste. C'est comme si les bureaux de Charlie Hebdo s'étaient situés place du Palais Bourbon à Paris. Pour les Tunisiens, c'est symboliquement encore plus violent parce que cela s'est produit sur le site de la démocratie parlementaire confortée depuis quatre ans et qui a accouché d'une constitution après deux ans et deux mois, et à la fois contre l'emblème culturel historique qu'est le musée du Bardo. Mais il n'y a pas eu d'erreur, on a bien tiré sur les bus de touristes, le tourisme étant la première ressource de Tunisie.

La Marseillaise. Pourquoi y a-t-il autant de djihadistes dans le seul pays arabe qui ait réussi sa révolution ?

Paul Alliès. Il n'y a pas une seule explication. Après la chute de Ben Ali(1), il n'y a pas eu de véritable épuration du système. Le passage d'une longue nuit de dictature à une démocratie exemplaire a permis peut-être cet exutoire djihadiste. On a aussi beaucoup reproché à Ennhadha(2) son double langage à propos des islamistes radicaux -déclarations hostiles d’un côté et pratiques cachées de l’autre- mais je note que ce parti de masse a été propulsé au pouvoir -où il a affronté la transition démocratique- et l'a quitté sans le moindre incident. Et que comme tout le processus démocratique, il devient une cible pour les terroristes islamistes. En outre la Tunisie possède l'armée la plus démocratique de tout le Moyen-Orient. Jamais les militaires n'ont cédé aux sollicitations qui leur ont été lancées après les deux plus importants attentats meurtriers pour qu'ils fassent régner l'ordre. Il ne faut pas oublier non plus que dans les trois mois qui ont suivi la chute de Ben Ali entre la mi-janvier et la mi-avril, 20.000 Tunisiens -qui en étaient jusque là empêchés- sont passés par Lampedusa pour venir en France, où d'ailleurs on les a pourchassés. C'était une expression très précoce de l'instabilité sécuritaire et du fossé qui s'est creusé après la chute de la dictature. Car Ben Ali était réputé pour être un rempart contre les islamistes. On a donc assisté à la libération de toutes les énergies réprimées, censurées.  La démocratie est toujours ouverte à ses ennemis, comme dit Raymond Aron.

La Marseillaise. Et puis il y a les conséquences de l'exil des Libyens ?

Paul Alliès. Cet autre chiffre est encore plus important. Pendant ces trois mêmes mois, 260.000 Libyens ont fui Kadhafi et la guerre qu'on avait exportée. Il ne faut pas oublier que la France a été la cause première du fait qu'aujourd'hui du Mali à la Tunisie, il y a des groupes armés issus de cette guerre calamiteuse qu'on a portée en Libye. Ces  260.000 réfugiés ont été accueillis correctement par la Tunisie. Depuis, tout le sud tunisien est devenu poreux. On sait qu'il y a des attentats mortels contre l'armée tunisienne. Une insécurité s'est installée avec ces bandes armées dont les objectifs ne sont pas idéologiques mais qui font des trafics en tout genre sous le couvert de l'islamisme radical.

La Marseillaise. Ce qui nuit aussi à l'économie ?

Paul Alliès. La Tunisie est un pays pauvre, l'attaque de mercredi contre le tourisme qui est la première ressource du pays et à la veille de la saison, est comparable à une attaque contre des puits de pétrole. Pour revenir à l'attentat, il faut noter qu'il n'y avait pas un seul garde au musée alors que les sites culturels sont devenus des cibles. L’attentat contre les sites mésopotamiens en Irak aurait dû amener une protection du musée.

La Marseillaise. Pourquoi la police n’y était-elle pas ?

Paul Alliès. Parce qu’il faut tout construire en Tunisie et notamment une police démocratique. Elle est truffée de bénalistes et n’a pas été épurée. Elle est peu armée, peu expérimentée, peu équipée. Pour le coup, la France aurait pu aider à construire cette police démocratique. Car la Tunisie -c’est connu des terroristes- n’en a pas les moyens. Mais la France n’a pas été à la hauteur, y compris après 2012, même si elle a rattrapé des retards au cas par cas dans certains domaines.

La Marseillaise. Le processus démocratique est-il en danger du fait de l’attentat ?

Paul Alliès. C’est une vraie question, mais je ne pense pas que les partis fassent de la surenchère. La gauche en général est très sensible au pluralisme même si certains parmi elles -surtout des femmes- se sont battus contre le « double langage d’Ennhadha ». Mais je ne pense pas que la société civile telle que je l’ai connue laisse aux partis néo-bénalistes au pouvoir la possibilité de tentations sécuritaires. D’autant que la Tunisie n’a pas les moyens d’un plan Vigipirate et encore moins d’un Patriot Act. C’est un enjeu dans le seul pays arabe qui a maintenu son Printemps et réussi sa révolution démocratique.

Propos recueillis par Annie Menras (La Marseillaise, le 24 mars 2015)

(1) Ancien président de la République déchu.
(2) Parti islamiste élu après la révolution qui a été battu aux dernières élections législatives.

Manuel Valls, les intellectuels et le FN. Par Yvon Quiniou

le 10 mars 2015

Manuel Valls, les intellectuels et le FN. Par Yvon Quiniou

Vous vous trompez, Manuel Valls !

En accusant les intellectuels (de gauche), d’une manière méprisante, de ne rien faire contre la montée des idées du Front national, vous vous trompez à  plusieurs égards.

D’abord, vous oubliez qu’il y a des intellectuels en France, mais qui n’appartiennent pas à votre « gauche » qui n’a de gauche que le nom. Ce sont des philosophes, des sociologues, des économistes qui écrivent dans des revues trop peu connues du grand public, comme, entre autres, « Actuel Marx » ou « La Pensée », ou encore « Contretemps ». Ils ont pour originalité de penser une alternative crédible au capitalisme,alors que dans votre parti il n’y a plus de penseurs, que des communicants ou des technocrates issus de l’ENA, de HEC ou de Sciences Po, formatés par la même idéologie de la politique considérée comme la gestion des affaires, sans la moindre ambition morale ou sociale dans l’ordre de l’humain et changeant de postes ou d’orientation selon que la gauche ou la droite se succèdent au pouvoir. Or, ces intellectuels critiques, vous les ignorez ou vous les censurez, d’une manière malhonnête, très peu démocratique et en trahissant ainsi votre ancêtre revendiqué, Jaurès.

Cela ne nous éloigne pas de notre sujet, la menace terrible du FN. Car, deuxième motif de tromperie, vous oubliez ou faites semblant d’oublier que cette menace ne se combat pas sur le terrain où vous vous voulez l’entraîner : la peur, les sentiments, la revendication incantatoire de la République. Elle se combat au contraire, sur le terrain politique où, non seulement vous êtes absent, mais où vous menez une politique libérale de régression sociale dans tous les domaines, celle-là même qui produit la montée en puissance du FN. Vous sacrifez peu à peu les acquis sociaux de la social-démocratie dont vous prétendez vous réclamer alors que vous lui tournez le dos en suivant le « modèle », en l’occurrence le contre-modèle social allemand, et en vous enfermant dans les impératifs libéraux d’une Europe capitaliste que vous avez contribué à faire, délibérément et contre la volonté démocratique des français exprimée en 2005. Or c’est bien cette politique économique et sociale, inédite dans la tradition socialiste, qui fait le succès de Marine Le Pen : l’augmentation des inégalités, l’appauvrissement, non relatif mais absolu d’une grande partie de la population, la violence sociale grandissante, le désengagement de l’Etat, le sacrifce progressif des services publics, l’abandon des campagnes, le renoncement à défendre une laïcité digne de ce nom, dans le sillage tracé par Sarkozy, le renoncement aussi à la souveraineté nationale au nom d’une Europe soumise au capitalisme fnancier transnational. Or c’est sur ces bases, précisément, en l’occurrence contre elles, que le FN, d’une manière largement frauduleuse (pensons à sa conception unilatérale de la laïcité) construit son succès actuel en utilisant, eh oui, une rhétorique de gauche et en affchant en partie (mais en partie seulement) des objectifs qui ont été abandonnés par la gauche dite socialiste. Et cela séduit, même dans l’illusion, une partie des classes populaires en déshérence !

On voit bien alors que la montée du FN est inéluctable, dès lors que le cap de la politique actuelle du PS est maintenu. Les intellectuels, mais plus largement les forces politiques du Front de gauche, dont il accuse hypocritement le désengagement, n’ont, au contraire, cessé d’avertir les dirigeants du PS, de leur responsabilité dans la situation actuelle : pensons aux accusations courageuses et réitérées des « économistes atterrés » comme celles d’économistes mondiaux de renom accusant les dérives fnancières de l’Europe.

Oui, décidément, Manuel Valls, vous vous trompez et vous trompez le peuple français en imputant aux intellectuels une quelconque responsabilité dans le risque de voir le FN arriver au pouvoir. Vous attribuez aux autres une culpabilité qui vous concerne au premier chef et contre laquelle vous ne pouvez, hélas, rien faire, car vous ne le voulez pas, sous peine de renier votre orientation social-libérale qui produit le malheur que nous connaissons et que vous ne voulez pas voir. L’histoire, un jour, vous montrera du doigt !

Par Yvon Quiniou - Mediapart.fr

URL source: http://blogs.mediapart.fr/blog/yvon-quiniou/100315/manuel-valls-les-intellectuels-et-le-fn

 

 

 

 

Karim Pakzad. « Sans l’Iran, on ne peut pas vaincre Daesh »

le 28 février 2015

Karim Pakzad. « Sans l’Iran, on ne peut pas vaincre Daesh »

Pour le spécialiste de l’Irak et des mouvements jihadistes, la lutte contre Daesh sera longue. Et le sera plus encore si la coalition internationale ne règle pas ses contradictions.

Karim Pakzad est chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste de l’Afghanistan, de l’Iran et de l’Irak. Il collabore également avec la Fondation Jean Jaurès. Il observe les mouvements djihadistes depuis de nombreuses années.

La Marseillaise. Les images des monuments de Mossoul ont choqué le monde entier. Est-ce que s’en prendre au patrimoine marque une nouvelle étape dans la stratégie de Daesh ?

Karim Pakzad. Non. Cet acte se situe dans la continuité. C’est tout à fait dans la logique de ces extrémistes. Ça fait partie de la conception de Daesh, ou avant eux d’Al Qaeda : idéologiquement, en termes religieux, ils sont fondamentalement contre la représentativité, contre l’image en général. C’est particulièrement vrai avec tout ce qui est préislamique. On peut tout à fait comparer ces saccages de Mossoul avec ceux du mois de mars 2001, quand les Talibans détruisaient le grand bouddha de Bâmiyân. Nous sommes exactement devant le même type de logique. Ces statues étaient considérées comme anti-islamique. Pour justifier leurs actes, les jihadistes essaient de trouver des exemples dans le Coran ou dans les gestes des prophètes. Ils les interprètent ainsi. A leur façon… Mais Daesh, avant de s’attaquer au musée de Mossoul, à ce patrimoine de l’humanité qui date de plusieurs milliers d’années, de plusieurs siècles avant Jésus Christ, avait commencé à détruire aussi les mausolées des Chiites. Il ne s’attaquent donc pas seulement à l’héritage pré-islamique, il s’attaquent également à l’héritage islamique. L’Arabie Saoudite, qui n’était pas très chaude au départ pour s’attaquer à Daesh, a commencé à pendre peur quand le groupe terroriste a dit qu’il voulait détruire la Mecque ! Ces gens-là poussent leur extrémisme à s’attaquer même aux cimetières.

La Marseillaise. Au-delà de l’attaque contre le patrimoine culturel de l’humanité, Mme Irina Bokova, de l’Unesco, voit devant ces actes un « enjeu majeur de sécurité ». Vous la suivez ?

Karim Pakzad. L’Unesco constate ce que l’on savait déjà. S’il existe une coalition internationale dans laquelle la France s’est engagée avec force pour éliminer Daesh, c’est parce qu’aujourd’hui nous sommes devant une menace globale. Aujourd’hui, Daesh contrôle une immense zone et près de 3 millions de personnes. Les groupes qui jusqu’ici se réclamaient d’Al Qaeda commencent à faire allégeance. On retrouve le phénomène en Lybie, au Yemen et même jusqu’en Afghanistan et au Pakistan. Il y a même des affrontements entre les Talibans et Daesh en Afghanistan. Cette partie du monde aussi passe sous influence de Daesh. Oui, Daesh représente réellement une menace globale. Et on peut ajouter que ce n’est qu’un début.

La Marseillaise. Et que les Musulmans en sont quand même encore les premières victimes  ?

Karim Pakzad. Évidemment. Les peuples musulmans sont les premières victimes de Daesh. Il ne faut pas oublier qu’il y a une distinction entre ces derniers et Al Qaeda. Al Qaeda a été créé par Ben Laden au début des années 2000 en réaction à l’invasion américaine en Afghanistan. Il s’agissait de s’opposer aux États-Unis. C’était l’objectif principal. Daesh, à l’origine, s’appelait « branche irakienne d’Al Qaeda. » Son objectif était certes de lutter aussi contre les Américains mais parce qu’ils soutenaient le pouvoir irakien. Pour ces wahhabites, l’objectif premier était de chasser les Chiites en Irak. Ce n’est qu’ensuite qu’ils se sont appelés Daesh, qui veut dire « État islamique en Irak et en Syrie ». C’est la guerre en Syrie qui a favorisé l’intervention de l’État islamique en Syrie et donc son extension.

La Marseillaise. Ces pays attaqués par Daesh peuvent-ils contre-attaquer ? Une rébellion populaire est-elle envisageable ?

Karim Pakzad. Il est certain que les gens souffrent. Mais vous savez Daesh… On n’a jamais vu dans l’Histoire, sauf vraiment dans l’Antiquité ou pendant les Croisades, de mouvement aussi barbare. Lutter contre Daesh, là où ils sont, en Irak par exemple, ce n’est pas facile. Il n’y a pas beaucoup de solutions pour ceux qui ne sont pas d’accord. A la moindre chose on égorge, on tue. En fait pour Daesh, les égorgements, les massacres, sont des moyens qui permettent de maintenir l’ordre par la terreur. Les exécutions sommaires, les décapitations, sont leur technique militaire. Et cette stratégie est terriblement efficace. Elle tue les velléités de résistance.

La Marseillaise. Reste la coalition internationale, avec les pays arabes qui y participent. Peut-elle vaincre ces djihadistes à plus ou moins court terme ?

Karim Pakzad. Daesh s’est renforcé avec l’aide de l’Arabie Saoudite et avec le Qatar. Pourquoi ? Parce que ceux-là voulaient contrecarrer l’influence de l’Iran en Irak. Il y a une grande rivalité entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui se sent fragile pour contrôler la région. L’Iran soutien Bachar El Assad. Les Occidentaux qui sont alliés de la Turquie veulent combattre El Assad. Or, tout le monde sait que sans l’Iran, qui a une énorme influence dans la région, on ne peut pas vraiment combattre Daesh. Les Américains le savent qui sont ennemis officiels des Iraniens mais qui dans les faits sont contraints de travailler avec eux, même s’ils refusent de parler de coopération militaire. On voit bien la contradiction. Il faudra beaucoup de temps pour vaincre Daesh dont le prochain objectif est la Libye. Malheureusement, on va assister à d’autres événements dramatiques si la coalition internationale ne devient pas une véritable coalition. Aujourd’hui seuls les États-Unis et la France s’y consacrent vraiment. Et le troisième pays qui participe c’est l’Iran !

Entretien réalisé par Claude Gauthier (La Marseillaise, le 28 février 2015)

Bastien Alex. « Ce ne sera pas à la hauteur des enjeux »

le 27 février 2015

Bastien Alex. « Ce ne sera pas à la hauteur des enjeux »

Environnement. Pour le chercheur, les accords mondiaux contre le changement climatique trouvent vite leurs limites et Paris ne dérogera pas à la règle. Les intérêts nationaux prennent le pas sur l’intérêt collectif.

Bastien Alex est chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste des questions énergétiques et environnementales. Il porte un regard sceptique sur l’efficacité des accords internationaux en matière de changement climatique.

La Marseillaise. François Hollande, en partant pour Manille, a déclaré vouloir aboutir à un traité historique lors de la conférence de Paris (COP 21). C’est en bonne voie ?

Bastien Alex. C’est tout le paradoxe : on retiendra, si on parvient à faire signer un accord global et contraignant à l’ensemble des parties –incluant un système où tout le monde est soumis à des mesures d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre–, une performance historique. Pour autant est-ce que cela veut dire que l’accord sera à la hauteur des enjeux qui sont posés ? Moi je n’en suis pas certain et je pense même que ce ne sera pas le cas. Accord il y aura, mais je pense qu’il ne sera pas suffisant.

La Marseillaise. Le Président a pourtant l’air confiant ! Qu’est-ce qui vous rend si pessimiste ?

Bastien Alex. Le gros problème qui est devant nous, c’est l’architecture de Kyoto  telle qu’elle existe actuellement. Tout l’enjeu est de la réformer à la fin de l’année. Il y a une opposition, du fait du principe de responsabilité commune mais différenciée. L’accent a été mis sur la responsabilité des pays industrialisés, ce qui tient à peu près la route. Sauf que personne n’avait prévu que certains pays du Sud connaîtraient une croissance impressionnante, économique et démographique. Mais aujourd’hui, ce clivage Nord-Sud n’a plus vraiment de sens au regard de l’évolution de pays comme l’Inde ou la Chine, par exemple. Cette dernière est devenue le plus grand émetteur de gaz à effet de serre depuis quelques années et a connu la croissance économique que l’on sait. Mais dans le cadre des négociations climatiques, elle figure au groupe des pays du Sud, le G77, avec des nations qui n’ont pas du tout connu la même évolution. On voit le même type de phénomène avec l’Inde.

La Marseillaise. Il faut pourtant bien trouver une façon de négocier à peu près équitable ?

Bastien Alex. La vraie nouveauté depuis une dizaine d’années c’est que l’unité du Sud a complètement volé en éclats. Parce que les positions sont beaucoup trop différentes. Que la Chine négocie dans le même groupe que le Bangladesh ou que le Chili ça n’a aucun sens. Aujourd’hui certains pays jouent de cette division habilement. Quand on reproche aux Chinois leur changement de statut de deuxième puissance économique mondiale et de premier émetteur, etc. ils ont beau jeu de répondre que les pays industrialisés ne tiennent pas leurs promesses, et avec des arguments.

La Marseillaise. Par exemple ?

Bastien Alex. Par exemple, ils évoquent le « Fonds vert » [mécanisme financier de l’ONU, de 100 milliards de dollars, qui a pour objectif le transfert de fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables pour mettre en place des projets pour combattre les effets des changements climatiques, ndlr], qui n’est pas abondé correctement. Ils vont essayer d’appuyer là-dessus pour fédérer autour d’eux l’ensemble des pays du Sud. On est arrivé l’année dernière à doter le Fonds vert à hauteur de 10 milliards de dollars :  ça veut dire qu’il en manque 90 ! De plus, les pays du Sud ont l’amère expérience du fameux 0,7% du PIB  de l’aide publique au développement : jamais versé entièrement hormis les trois premières années. Aujourd’hui, ils ont très peur que l’on « verdisse » cette aide publique au développement. Ils espèrent du cumulatif. Ils veulent que l’aide au développement se poursuive, même s’il y a eu quelques déboires à la fin de la guerre froide, et qu’en même temps il y ait un financement des mesures d’adaptation pour combattre le changement climatique. Il est très compliqué pour eux d’obtenir des garanties.

La Marseillaise. Ceci implique-t-il pour autant un échec de la prochaine conférence ?

Bastien Alex. Je pense qu’il est difficile d’obtenir un accord international qui soit véritablement efficient. Il y aura un accord, c’est une certitude parce que tout le monde veut un accord. Mais ce « quelque chose », au regard du problème qui est posé, je ne crois pas qu’il sera très ambitieux et très efficace. De toutes les façons c’est très compliqué. Les États-Unis n’ont pas signé certains grands traités contraignants, comme celui de la Cour pénale internationale ou d’autres encore. On sait que pour arriver à la signature d’un traité contraignant, d’une manière ou d’une autre, il doit contenir aussi une porte de sortie. Il pourra arriver la même chose qu’avec le traité de Kyoto. Le Japon, la Russie ou le Canada en sont sortis parce que le respecter leur aurait coûté trop cher. Je pense en vérité qu’un traité international vraiment contraignant et efficace, aujourd’hui, ne peut pas voir le jour. Compte tenu de la protection des intérêts des uns et des autres et parce qu’il y a trop d’incertitude pour prendre des engagements sereinement. Et puis dans ce type d’accord, quand un Président signe au bas de la feuille, il n’y a aucune certitude que le Président suivant la respecte à son tour.

Entretien réalisé par Claude Gauthier (La Marseillaise, le 27 février 2015)