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Économistes atterrés : et maintenant les solutions

le 17 janvier 2015

Économistes atterrés : et maintenant les solutions

Libéralisme. Après le succès de son premier manifeste centré sur la critique, le collectif sort un nouvel opus détaillant ses alternatives au modèle dominant.

Trois ans environ après le succès inattendu de leur premier manifeste critiquant les dérives libérales, le collectif des Économistes atterrés a présenté hier un nouvel ouvrage, détaillant selon eux des « solutions » pour mettre fin à la crise.

Cette présentation à la presse du « Nouveau manifeste des économistes atterrés » a commencé par un hommage à l’économiste Bernard Maris, grande voix des critiques du libéralisme effréné, tué lors de l’attentat contre Charlie Hebdo. Bernard Maris était un « être très cher » et « très proche des atterrés », a rappelé Henri Trubert, co-fondateur de la maison d’édition Les liens qui libèrent (LLL). Il a souligné que le nom même de cette maison d’édition engagée avait été « trouvé par Bernard Maris lors d’un déjeuner ».

Sous le boisseau d’une doxa

Pour Henri Trubert, la « surprise » du grand succès du premier manifeste, paru fin 2011 et vendu à près de 100.000 exemplaires, avait créé un « véritable appel d’air ». Il a selon lui « montré que nous étions sous le boisseau d’une doxa » en matière économique. L’éditeur visait par ces propos l’école dite libérale ou néo-classique, très mathématique, et généralement favorable au marché. « Notre ambition est d’ouvrir une alternative », maintenant que « le constat que le libéralisme ne marche pas est largement partagé », a résumé Christophe Ramaux, qui fait partie de la vingtaine d’économistes ayant contribué à l’ouvrage. « La politique d’austérité a créé une catastrophe absolue en matière de chômage mais aussi de dette publique », a-t-il ajouté.

Le nouveau manifeste à couverture jaune et noire, de 160 pages, entend donner des pistes pour parvenir au « plein emploi » tout en respectant l’environnement et en combattant les inégalités. Parmi les propositions concrètes se trouve notamment la création d’un fonds souverain français qui investirait massivement dans la transition énergétique, une réforme fiscale pour « réhabiliter l’impôt », la mise au point d’indicateurs sociaux et environnementaux qui flanqueraient chaque trimestre la publication des chiffres du produit intérieur brut, une redéfinition des missions de la Banque centrale européenne pour « faire fondre les dettes » publiques, ou encore la poursuite de la réduction du temps de travail.

La Marseillaise, le 17 janvier 2015

Nouveau manifeste des économistes atterrés, éditions LLL, parution le 21 janvier 2015, 10 euros.

Bernard Tabuteau. « Recul et avenir du PCF vus par ses militants »

le 15 janvier 2015

Bernard Tabuteau. « Recul et avenir du PCF vus par ses militants »

Débat ce soir avec le chercheur en sciences sociales.

À l’invitation de l’Université populaire et républicaine, Bernard Tabuteau, chercheur en sciences sociales, tiendra ce soir une conférence-débat autour de son ouvrage "Recul et avenir du PCF"(*).

La Marseillaise. Quel est le point de départ de vos recherches sur le PCF et la méthode de travail que vous avez suivie ?

Bernard Tabuteau. Elles partent d’un constat simple : à la fin des années 1970 le PCF se situe au dessus des 20% des voix et au début des années 2000 il est en dessous des 5%. Forcément cela interroge d’autant plus que le PCF demeure une référence, une tentative non-dépassée de politiser les couches populaires. Ce recul massif pose question à un analyste politique, un sociologue. Mon travail porte sur l’analyse du recul et de l’avenir du PCF vus par ses militants. Mon matériau de recherche est constitué par l’ensemble des entretiens approfondis que j’ai eu avec des militants de tout niveau de responsabilité, de la Secrétaire nationale de l’époque, Marie-George Buffet au militant de base. Des militants de toute génération, en incluant ceux qui ont quitté le PCF, ceux que j’appelle « la diaspora communiste ».

La Marseillaise. Quelles sont d’après votre étude les causes du recul du PCF ?

Bernard Tabuteau. Il y a un enchevêtrement de causes pointées par les militants que l’on peut classer en quatre composantes qui font système. La composante économique et sociale liée à un décrochage par rapport aux transformations dans les classes moyennes et la classe ouvrière. La composante politique car le PCF a été à l’initiative de l’union de la gauche avant d’y être pris au piège et de réagir « en zigzag » aux questions posées par sa rupture. La composante organisationnelle qui comprend le décalage entre le gouvernement et les aspirations des militants avec une fixation autour du centralisme démocratique et de la manière dont il opère. Et enfin la composante extérieure avec l’incapacité de se distinguer de l’URSS et de son image.

La Marseillaise. Comment les militants interrogés envisagent-ils le renouveau et l’avenir du PCF ?

Bernard Tabuteau. Mes entretiens ont eu lieu de 2005 à 2007, le Front de gauche n’était donc pas né même si les raisons qui ont présidé à sa création étaient déjà en germes. Mes interlocuteurs estiment que l’échec des républiques socialistes de l’Est a eu un effet démobilisateur mais que l’évolution du capitalisme n’a pas pour autant montré sa capacité à régler les problèmes du monde. Face à ce double phénomène, ils soulignent la nécessité de faire émerger un nouveau projet émancipateur en travaillant à un rassemblement des forces qui veulent dépasser le capitalisme. Une nécessité d’autant plus forte qu’ils jugeaient le modèle social-démocrate à bout de souffle.

Propos recueillis par Léo Purguette (La Marseillaise, le 15 janvier 2015)

(*) Éditions le Temps des cerises.

Abdennour Bidar. « Les religions, largement inadaptées au monde actuel »

le 10 janvier 2015

Abdennour Bidar. « Les religions, largement inadaptées au monde actuel »

Redoutant les amalgames, ce philosophe défend une religion au sujet de laquelle il n’a cependant jamais ménagé ses critiques.

Philosophe spécialiste de l’islam, Abdennour Bidar a notamment publié L’islam sans soumission et Histoire de l’humanisme en Occident(*).

La Marseillaise. Votre réaction suite à l’attentat ?

Abdennour Bidar. Il s’agit avant tout d’être très clair, sans ambiguïté : ces assassins n’ont aucun droit de se réclamer de l’islam, ce qu’ils ont fait n’a rien à voir avec la religion et la civilisation de l’islam, et c’est le moment pour les musulmans de le dire haut et fort. Pourquoi ? Parce que c’est aussi l’islam qui a été attaqué et bafoué, et que c’est donc la responsabilité de chaque personne de culture musulmane de s’indigner contre ce qu’on fait dire à sa culture. Les musulmans sont là devant une responsabilité décisive, qu’ils ne doivent pas manquer au prétexte qu’ils ne seraient « pas concernés ». Ils le sont au contraire à double titre : comme membres de la société française ils doivent se lever comme tous les autres pour défendre nos valeurs – c’est notre devoir de citoyens ; comme citoyens de culture musulmane ils doivent défendre cette culture contre sa défiguration, contre sa perversion meurtrière.

La Marseillaise. Vous êtes un philosophe critique, pouvant aller jusqu’à souligner que l’islam est « une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive ». Qu’est-ce que cela suppose pour les musulmans ?

Abdennour Bidar. L’islam est une civilisation et une religion en crise profonde, qui attend sa grande réforme. Rappelez-vous que selon le calendrier musulman nous sommes au début du XVe siècle. Pour l’Europe c’était le moment de la Renaissance ! Pour l’islam aujourd’hui, on le voit du côté des Printemps arabes notamment, le temps est venu de se débarrasser de tous les autoritarismes politiques et religieux, de se repenser totalement à la lumière des Droits de l’homme - l’islam n’a rien à perdre là-dedans mais tout à gagner parce que son génie fondamental –comme celui de toutes les grandes civilisations de la planète– est du côté de l’humanisme ! Quand je dis que la religion islam est malade de tous ces maux que vous citez, je dis que ce sont des maladies qui dénaturent son vrai message, et que celui-ci ne doit pas être cherché « clés en mains » dans un passé mythique mais qu’il doit être réinventé aujourd’hui sur la base d’héritages à renouveler, notamment à partir du choix de tout ce qui, dans le Coran, dans les interprétations du Coran, dans le modèle du Prophète, dans la sagesse des saints du passé, nous donne l’exemple de la vertu, de la noblesse d’âme, de la tolérance, de la fraternité universelle, de l’égale dignité de toutes les femmes et de tous les hommes. Ce sont les thèmes que je développe dans mes livres.

La Marseillaise. S’agit-il du problème  de l’islam et de son histoire ou est-ce lié au monothéisme ?

Abdennour Bidar. C’est le problème de la dégénérescence ou décadence qui guette toute religion qui se rigidifie, qui se crispe (et ce n’est pas le propre de l’islam, voir par exemple ce qui se passe par exemple aujourd’hui avec l’arrivée des nationalistes hindous au pouvoir en Inde) parce qu’elle n’arrive plus à faire face aux défis du présent, qui aujourd’hui déstabilisent profondément, radicalement, toute religion du monde – s’il y a un retour du religieux, c’est le retour d’un religieux qui ne sait plus très bien où il en est, et qui ne fait retour que parce que « la nature a horreur du vide », c’est-à-dire que ce religieux revient parce que la civilisation humaine tout entière n’arrive plus à se retrouver autour de grands idéaux. Dans le climat mondial de crise du sens et de la justice, les religions reviennent remplir un vide, et répondre à un désarroi. Mais elles sont largement inadaptées au monde actuel et donc logiquement leur retour provoque plus de problèmes qu’il n’en résout…

La Marseillaise. Comment pensez-vous qu’il faille réagir ?

Abdennour Bidar. Résister, d’abord en manifestant ensemble contre la haine, et à plus long terme en éduquant les enfants –dans tous les milieux, athées, agnostiques, croyants– à la règle d’or de l’humanisme : ne fais pas à autrui le mal que tu ne voudrais pas qu’il te fasse, et fais à autrui tout le bien que tu voudrais qu’il te fasse. Tout passe, c’est la leçon éternelle des sociétés humaines, par l’éducation. Quel est aujourd’hui l’état de l’éducation morale et spirituelle donnée dans les familles musulmanes ? Est-elle suffisante ? Est-elle bien appropriée au temps présent, et ici en France à notre contexte de société et de culture ? Je crois qu’il faut que tous les parents musulmans se posent aujourd’hui cette question, de telle sorte que tous les enfants qui grandissent dans une culture musulmane puissent faire le lien –voir le lien– entre leur éducation familiale et les valeurs de notre société, qu’ils voient qu’il n’y a pas contradiction entre elles mais accord profond, et qu’ils soient immunisés contre l’intolérance, et éduqués à une fraternité universelle – pas seulement envers leurs frères musulmans mais envers tous leurs frères humains. On peut d’ailleurs se demander, bien au-delà du cas de l’islam, si ce principe humaniste est bien au centre de la plupart des éducations familiales aujourd’hui ?

Angélique Schaller (La Marseillaise, le 10 janvier 2015)

(*) En 2012 et 2014, Armand Colin.

Le « Maitron » des anarchistes

le 03 janvier 2015

Au Centre International de Recherche sur l'Anarchisme
50, rue Consolat
13001 - Marseille

Samedi 10 janvier à 17h

Le « Maitron » des anarchistes présenté par Gérard Leidet, Thierry Bertrand et Françoise Fontanelli.

Entrée libre

La collection du « Maitron », célèbre dictionnaire biographique du mouvement ouvrier propose un nouveau volume consacré aux anarchistes. Son fondateur, Jean Maitron fut le premier historien en France du mouvement libertaire.

Fruit d’un travail collectif initié par Claude Pennetier (chercheur au CNRS, directeur du « Maitron »), ce dictionnaire de 528 pages a pour ambition de célébrer un siècle et demi de lutte en redonnant leur place aux principaux acteurs du mouvement libertaire : les militantes et les militants.

Cinq cents biographies, dont soixante sont illustrées, ont été retenues pour le dictionnaire papier, avec le souci de respecter la diversité du mouvement libertaire.

L’équipe des rédacteurs a souhaité dépasser les frontières hexagonales en intégrant les biographies de militants suisses, belges, québécois, de ceux partis pour les États-Unis ou de militants dont l’impact ou le rôle en France furent très importants (Bakounine, Max Nettlau).

À ce dictionnaire papier s’ajoutent plus de 2 500 biographies consultables sur Internet.

Gérard Leidet de l'association Provence, mémoire et mouvement ouvrier (Promémo) sera présent pour parler du « Maitron » en général, alors que Thierry Bertrand, du CIRA, et Françoise Fontanelli présenteront le « Maitron » des anarchistes en illustrant leur causerie de plusieurs biographies de militantes et militants des Bouches-du-Rhône.

Les anarchistes : dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone. Éditions. de l’Atelier, 2014. 527 pages. (Collection Jean Maitron). 50 euros.

UPR. Recul et avenir du PCF

le 30 décembre 2014

Arménie. « Un très long reportage en direct »

le 22 décembre 2014

Arménie. « Un très long reportage en direct »

Le livre cosigné par Yves Ternon et Raymond Kévorkian, qui rassemble des centaines de témoignages, pourrait faire date dans la connaissance de l’histoire du génocide de 1915.

« Nous souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les circonstances qui ont marqué le début du XXe siècle reposent en paix et nous présentons nos condoléances à leurs petits-enfants. »

Ainsi Gérard Chaliand, géo-stratège et spécialiste de l’étude des conflits armés, débute-t-il sa préface du dernier ouvrage d’Yves Ternon et Raymond Kévorkian, Mémorial du génocide des Arméniens, citant le chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan, « qui prononça ses paroles à la veille du quatre-vingt-dix-neuvième anniversaire de ce qui fut surnommé à l’époque un crime de lèse-humanité ». Pour ajouter que « ces condoléances tactiques, prononcées dans le cadre d’une stratégie politique de la négation doivent cependant être acceptées. En effet, elles expriment clairement qu’un État reconnaît qu’il s’est passé quelque chose de suffisamment considérable pour présenter quasiment un siècle plus tard des condoléances destinées à se dédouaner. »

À la veille du centième anniversaire du génocide

Ce quelque chose de « suffisamment fort », comme l’écrit Gérard Chaliand, c’est le génocide des Arméniens en 1915, dont la communauté tout entière s'apprête à commémorer le centième anniversaire.

Le livre d’Yves Ternon et Raymond Kévorkian, que l’on présente comme un ouvrage de référence sur cette tragédie –et dont le premier des deux auteurs a été récemment invité à Marseille par la Jeunesse arménienne de France– vient donc à point nommé refléter l’ensemble des connaissances actuelles sur la réalité du génocide. Et c’est Gérard Chaliand qui suggéra aux historiens Yves Ternon et Raymond Kévorkian, de rassembler dans un ouvrage l’ensemble des sources historiques et témoignages, des documents diplomatiques et des reportages accessibles en leur possession : il y a en effet plus de trente ans que ces deux chercheurs travaillent sur la question arménienne dont ils se sont faits en France les plus ardents défenseurs.

Mais il leur restait moins de deux ans avant la commémoration de 2015. Alors que dans le même temps, les deux auteurs élargissent le champ de leurs investigations aux autres sources occidentales et turques, ils sont en passe de réaliser un ouvrage sur la question arménienne unique au monde, une sorte de « dialogue des sources », comme l’a déclaré Raymond Kévorkian, sous la forme d’un « long reportage en direct » qui rend ce livre d’érudits aussi passionnant qu’un roman. Malgré ses 500 pages truffées de photographies.

Gérard Lanux (La Marseillaise, le 22 décembre 2014)

« Mémorial du génocide des Arméniens », éditions du Seuil.

Cuba. Salim Lamrani : « Le Président Barack Obama a fait un constat lucide »

le 21 décembre 2014

Cuba. Salim Lamrani : « Le Président Barack Obama a fait un constat lucide »

Docteur ès Études Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV- Sorbonne, Salim Lamrani est également maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis. Il revient sur le contexte géopolitique existant entre Cuba et les États-Unis avant les annonces de cette semaine concernant un rapprochement entre les deux pays et entrevoit quelques pistes pour une véritable normalisation des relations.

La Marseillaises. Les annonces de ce 17 décembre 2014 doivent-elles être considérées comme des surprises ?

Salim Lamrani. La reprise du dialogue entre les deux pays est historique dans la mesure où elle met un terme à plus d’un demi-siècle de relations conflictuelles. La politique d’hostilité des États-Unis vis-à-vis de Cuba est anachronique car elle remonte à la Guerre froide. L’état de siège économique est également cruel puisqu’il affecte les catégories les plus vulnérables de la population. Enfin, les sanctions sont inefficaces vu que l’objectif d’obtenir un changement de régime n’a pas été atteint. Au contraire, elles ont isolé Washington sur la scène internationale.

La Marseillaises. Les décisions du côté cubain sont-elles à ranger dans le cadre des autres réformes entrées en vigueur depuis plusieurs années ?

Salim Lamrani. Dès le triomphe de la Révolution cubaine en janvier 1959, Cuba a toujours fait part de sa volonté d’entretenir des relations normales et apaisées avec les Etats-Unis, à condition qu’elles soient basées sur la réciprocité, l’égalité souveraine et la non-ingérence dans les affaires internes. Il y a toujours eu une constance à ce sujet de la part de La Havane. Il convient de rappeler que l’hostilité est unilatérale. Ce sont les États-Unis qui ont rompu les relations avec Cuba en janvier 1961 et qui n’ont eu de cesse d’adapter leur rhétorique diplomatique pour justifier le maintien de cet état de siège. Au départ, Washington a tenté d'expliquer sa politique agressive à l’égard de La Havane officiellement en raison du processus de nationalisations et expropriations qui affectait ses intérêts. Puis ensuite, on a mis en cause l’alliance avec l’Union soviétique. Dans les années 1970-1980, ce fut la solidarité cubaine avec les mouvements révolutionnaires et indépendantistes d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie qui fut mise à l’index. Après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, les États-Unis, au lieu de normaliser les relations avec La Havane, ont au contraire procédé à une recrudescence des sanctions économiques, brandissant cette fois l’argument de la présence de Fidel Castro et de Raúl Castro au pouvoir.

La Marseillaises. Cuba a toujours dit qu'il était prêt à discuter avec les Etats-Unis sur la base du respect mutuel. Mais comment expliquer le changement de position des États-Unis ?

Salim Lamrani. Le Président Barack Obama a fait un constat lucide à propos de la politique actuelle des États-Unis vis-à-vis de Cuba. Washington a échoué sur toute la ligne car Cuba n’a pas renoncé à son projet de société et consolide son processus socialiste en le rendant plus efficace et en l’adaptant aux nouvelles réalités. Washington est isolé à tous les niveaux sur la question cubaine. La communauté internationale est favorable à une normalisation des relations entre les deux pays et condamne fermement la politique de sanctions. En octobre 2014, pour la 23ème année consécutive, 188 pays –y compris les plus fidèles alliés des États-Unis– ont voté en faveur de la levée des sanctions économiques contre Cuba. L’Amérique latine est unanime dans son exhortation à libérer Cuba de l’état de siège qui l’étouffe depuis plus d’un demi-siècle. L’Amérique latine a menacé de boycotter le prochain Sommet des Amériques de 2015 en cas d’absence de Cuba. Dans les années 1960, Cuba était isolée sur le continent américain. Seul le Canada et le Mexique disposaient de relations avec La Havane. Aujourd’hui, La Havane entretient des relations diplomatiques et commerciales avec tous les pays du continent, à l’exception des États-Unis. En persistant à appliquer une politique absurde et obsolète, Washington s’est isolé du monde. Par ailleurs, au niveau national, l’opinion publique des États-Unis, à près de 70% selon un sondage de CNN, est favorable  à la normalisation des relations avec Cuba. Le peuple étasunien ne comprend pas pourquoi il peut voyager en Chine, principal adversaire politique et commercial des Etats-Unis, au Vietnam, pays contre lequel Washington a été en guerre pendant près de 15 ans, et en Corée du Nord, qui dispose de l’arme nucléaire, mais pas à Cuba, qui n’a jamais agressé les États-Unis de son histoire, et qui constitue une destination touristique naturelle pour des raisons historiques et géographiques évidentes. La communauté cubaine des États-Unis est favorable à 52% selon une étude à un rapprochement bilatéral car elle aspire à des relations apaisée avec sa patrie d’origine et souhaite que les Cubains de l’île vivent dans le bien-être, sans être victimes de sanctions. De la même manière, le monde des affaires étasunien est partisan de la levée des sanctions contre Cuba, car il voit un marché naturel de 11,2 millions d’habitants prêt à être investi par l’Amérique latine, l’Europe, le Canada et l’Asie. Tous ces facteurs ont amené Washington à infléchir sa position et à adopter une approche plus constructive et rationnelle.

La Marseillaises. Les défaites électorales successives de Barack Obama et la fin prochaine de son mandat peuvent-elles expliquer ce revirement  ?

Salim Lamrani. La réalité constitutionnelle a peut-être joué un rôle. En effet, Barack Obama en est à son deuxième mandat présidentiel et il ne peut plus se représenter. Mais, il me semble qu’il s’agit surtout d’une prise de conscience de l’isolement croissant des États-Unis sur la scène internationale sur la question cubaine, et de l’échec patent d’une telle politique agressive.

La Marseillaises. Quelles seront les réactions sur l'île ?

Salim Lamrani. Cuba a accueilli avec joie le retour de ses trois compatriotes Antonio Guerrero, Gerardo Hernández et Ramón Labiñino, qui purgeaient des peines de prison sévères, pour avoir tenté de neutraliser les groupuscules terroristes de l’exil cubain qui avaient causé la mort de plusieurs personnes en réalisant des attentats à la bombe. Il s’agissait véritablement d’une cause nationale à Cuba et le maintien en détention de ces personnes constituait le principal obstacle à la normalisation des relations entre Washington et La Havane. Le peuple cubain, qui a toujours eu un lien spirituel très fort avec le peuple étasunien, a accueilli la nouvelle du rétablissement des rapports bilatéraux avec satisfaction.

La Marseillaises. Peut-on s'attendre à d'autres avancées ?

Salim Lamrani. Le rétablissement des relations diplomatiques est un premier pas indispensable. Néanmoins, il reste insuffisant. Les États-Unis doivent d’abord lever les sanctions économiques contre Cuba. Obama peut faire jouer ses prérogatives en tant que président en permettant par exemple aux touristes étasuniens de se rendre librement à Cuba. Cela signerait la fin des sanctions contre Cuba, car le Congrès ne résisterait pas aux pressions du monde des affaires et serait contraint d’abroger les lois sur le blocus. Ensuite, Washington doit également accepter la réalité d’une Cuba différente, indépendante et souveraine et cesser ses politiques hostiles destinées à déstabiliser le pays en finançant une opposition interne. Enfin, il doit mettre un terme à l’occupation illégitime de Guantanamo et mettre hors d’état de nuire les secteurs extrémistes de l’exil cubain de Floride qui n’ont pas renoncé à la violence terroriste.

Entretien réalisé par Sébastien Madau (La Marseillaise, le 21 décembre 2014)

A lire de Salim Lamrani :

  • Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité, Paris, Editions Estrella, 2013, préface d’Eduardo Galeano.
  • État de siège, les sanctions économiques des États-Unis contre Cuba, Editions Estrella, 2011.

La carte jeune

Ils et elles parlent souvent la même langue, écoutent les mêmes musiques, supportent les mêmes équipes de base-ball et ont parfois les mêmes noms, les mêmes questionnements sur la vie. Seulement voilà, ils et elles étaient séparés de 150 kilomètres de mer qui paraissaient jusqu'à cette semaine infranchissables. Ou tout du moins, difficilement, par des moyens détournés ou par des aller sans retour. Ils et elles, ce sont les jeunes Cubains des deux côtés du golfe de Floride. Ceux qui ont parfois dû se quitter douloureusement, ceux qui ne se connaissent pas tout en ne se considérant pas comme étrangers. Si les annonces des Présidents Barack Obama et Raul Castro ont reçu l'approbation quasi générale du monde, elles ont surtout été accueillies comme des motifs d'espoir pour la jeune génération des deux pays.

Jusque-là, la décision américaine de vouloir isoler Cuba du fait de ses choix politiques dès 1959 n'avait fait qu'accroître les distances entre deux pays et peuples historiquement liés. Conséquence : 55 ans de rendez-vous manqués et de tensions inutiles. Les deux Présidents, avant la fin de leur mandat, auront rempli une partie des attentes. Celles d'entrevoir un avenir commun où chacun respecte les choix économiques et politiques de l'autre. Les aspirations de la jeunesse ont nécessairement pesé. Et elles pèseront certainement demain, si certains s'hasardaient à tenter de freiner cet élan nouveau. Cette nouvelle histoire qui commence.

Tous les regards sont désormais rivés vers la droite dure américaine majoritaire au Congrès et qui a le pouvoir de mettre fin au blocus qui frappe l'île et son peuple. Que deviendraient ces déclarations d'espoir si elles venaient à être fauchées en plein vol du fait des lobbies de l'exil radical cubano-américain ?

Alors si les jeunes des deux côtés du golfe de Floride ont les mêmes goûts musicaux, ils savent que 150 kilomètres de mer c'est encore trop loin pour se prendre la main et entamer une danse sur la même piste.

Sébastien Madau (La Marseillaise, le 21 décembre 2014)

Plus d'un siècle de relations tumultueuses

1898. Les Cubains se libèrent du colonialisme espagnol avec l'appui intéressé des États-Unis. Le drapeau américain est hissé dans le port de La Havane.

1902. Les États-Unis « quittent » Cuba non sans avoir fait ratifier l'amendement Platt les autorisant à intervenir militairement sur l'île et s'emparer de territoires tels que la base navale de Guantanamo.

1949. Les Cubains se soulèvent aux cris de « Cuba Si ! Yankee No ! » après qu'un marin américain ait été surpris en train d'uriner sur une statue de José Marti.

1952. Une révolte échoue contre le dictateur soutenu par les États-Unis Fulgencio Batista.

1953. Fidel Castro échoue dans sa tentative de prise du pouvoir à Santiago de Cuba après l'assaut de la caserne Moncada. L'opération marque pourtant les esprits dans le peuple.

1959. La Révolution emmenée par Fidel Castro triomphe.

1960. Le navire français La Coubre explose à La Havane. Fidel Castro accuse la CIA et prononce le célèbre « Patria o muerte ».

1961. Kennedy soutient l'opération de la baie des Cochons visant à renverser la Révolution. C'est un fiasco. Castro déclare le caractère socialiste de la Révolution.

1962. Le blocus américain entre en vigueur. La crise des Missiles place la planète au bord de la troisième guerre mondiale.

1977. Rapprochement entre les présidents Carter et Castro. Des sections d'intérêts sont ouvertes à La Havane et Washington.

1980. Fidel Castro ouvre le port de Mariel pour les candidats à l'immigration. 125 000 Cubains quittent le pays.

1994. Face aux difficultés économiques, de nombreux Cubains quittent l'île sur des radeaux de fortune. C'est le phénomène des balseros.

1996. La loi Helms-Burton renforce le blocus alors que le pays est déjà étouffé depuis la chute de l'URSS.

1998. Un groupe d'agents cubains est arrêté aux États-Unis après avoir infiltré la dissidence à Miami qui commanditait des attentats sur l'île. Ils ont été libérés cette semaine.

2000. Le jeune Elian Gonzalez, 4 ans, rentre à Cuba auprès de son père. Il avait été recueilli sur les côtes par sa famille aux États-Unis après que sa mère se soit noyée en tentant de rejoindre la Floride.

2005. La Nouvelle-Orléans est ravagée par le cyclone Katerina. Fidel Castro affrète des avions et mobilise des médecins. George W. Bush refuse l'aide.

2013. Lors des obsèques de Nelson Mandela, Barack Obama et Raul castro se serrent la main. Une première.

Dr Jean-Marc La Piana. « Qu’on n’aille pas jusqu’à légaliser l’euthanasie »

le 13 décembre 2014

Dr Jean-Marc La Piana. « Qu’on n’aille pas jusqu’à légaliser l’euthanasie »

Le directeur du centre de soins palliatifs « La Maison », à Gardanne, estime que priorité doit être donnée au développement de l’accompagnement et aux décisions collégiales.

Jean-Marc La Piana est directeur de « La Maison », à Gardanne, centre de soins palliatifs qui fait référence au plan national. C’est jeune médecin, confronté aux victimes du Sida à la pire époque, les années 80, qu’il a choisi de se consacrer aux soins palliatifs et par là, à l’accompagnement des patients en fin de vie.

La Marseillaise. Au moment où tombe le rapport de MM. Claeyes et Leonetti, que dites-vous de la méthode adoptée jusqu’ici pour conduire le débat sur la fin de vie ? Les professionnels ont-ils été assez sollicités ?

Dr Jean-Marc La Piana. D’abord je veux dire que j’ai une confiance totale dans la réflexion que peut porter Jean Leonetti. Parce que vraiment, il connaît le domaine. Nous le rencontrons régulièrement et c’est vraiment quelqu’un qui est au plus près de nos préoccupations sur la prise en charge des gens en soins palliatifs et donc sur la fin de vie. Après, oui nous sommes sollicités. Et nous-mêmes évoluons par rapport à tout ça. Aujourd’hui on ne peut pas dire que les attitudes sont figées. On avance. On n’a pas les mêmes visions aujourd’hui qu’il y a dix ans… Mais le monde du soin palliatif n’est pas celui qui va poser problème ou qui va être en difficulté. C’est dans les lieux de soins où on ne pratique pas le soin palliatif, mais où il y a quand même aussi des gens qui peuvent y finir leur vie, que la loi de 2005 n’est pas toujours appliquée, même si elle est connue. Où elle est parfois mal répercutée, mal comprise. Je crois que le fait qu’un débat existe aujourd’hui -et quelles que soient les conséquences de ce débat-, permet quand même à tout le monde de ramener à la réflexion le fait que cette loi a du sens et qu’il faut s’en saisir. Parce que ce qui compte n’est pas de savoir si l’on va donner l’autorisation de telle ou telle attitude ; le plus important dans ce secteur, c’est que les décisions soient prises avec le respect de la parole du patient, avec le respect de ses écrits quand il en a fait, avec le respect de la personne de confiance s’il y a, et toujours une décision collégiale. Le médecin travaille aux décisions qui s’imposent mais uniquement si il a consulté la collégialité qui intègre à la fois l’équipe soignante et à la fois l’entourage du patient et le patient lui-même quand il peut s’exprimer.

La Marseillaise. Cependant, selon des propos prêtés à M. Leonetti lui-même, « on meurt mal aujourd’hui en France »

Dr Jean-Marc La Piana. On ne peut pas dire ça comme ça. On meurt mal partout dans le monde. Mais ce n’est pas parce qu’on meurt mal aujourd’hui encore, que ce qui a été fait n’a pas porté de fruits. Ce qui a été fait a porté des fruits considérables, mais ils sont encore complètement insuffisants. Parce que tant que les soins palliatifs ne seront pas développés de façon conséquente et convenable, il y aura encore des gens qui mourront mal. Quand je dis développer de manière conséquente et convenable, ça ne veut pas dire faire des centres de soins palliatifs partout. La culture palliative, c’est une tache d’huile qui doit diffuser. Et il doit y avoir à la fois des lieux d’accueil, à la fois des équipes mobiles qui vont à domicile et à la fois du soutien de l’entourage permettant au mieux d’accompagner la personne qui est en fin de vie, où qu’elle soit. Ce qu’il faut dire, c’est qu’effectivement cette loi est quelque chose de très intéressant et de très convenable par rapport à ce qui se passe dans le reste de l’Europe -je pense que c’est certainement la meilleure loi- mais entre le moment où une loi est faite, le moment où les pratiques changent, le moment où il y a une évolution d’un phénomène comme ça, transversal dans notre société… ceci devient à la fois une question de société et une question médicale et de santé publique. Par conséquent, pour que tout ça puisse se mettre au diapason, il faut du temps. On meurt certes encore mal aujourd’hui, parfois par excès d’acharnement thérapeutique, mais cette loi amène la réflexion. Et la collégialité aussi nous oblige au moins à réfléchir.

La Marseillaise. Les médecins sont-ils assez préparés, dans le domaine des soins palliatifs et de la fin de vie ?

Dr Jean-Marc La Piana. Non, mais aujourd’hui on ne peut pas demander à quelqu’un d’être performant sur tous les fronts, et quel que soit le métier qu’il exerce. C’est pour ça que les équipes mobiles et les réseaux sont là. Vous avez une formation de base et après il y a la pratique. Et c’est dans la pratique que l’on voit quelles peuvent être les difficultés au plan humain et même pour un médecin. La question des réseaux de soins palliatifs est une question qui apporte une forme de compagnonnage. C’est à travers ce compagnonnage qu’on va voir les médecins évoluer dans leur pratique. Dans les Bouches-du-Rhône, nous avons un réseau qui fonctionne avec plusieurs établissements, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, qui s’appelle « Respect 13 » et qui a pris en charge plus de 1.000 situations l’année dernière.

La Marseillaise. Qu’attendez-vous des nouvelles propositions ? Quelles sont vos attentes immédiates ?

Dr Jean-Marc La Piana. Que surtout on n’aille pas jusqu’à la légalisation de l’euthanasie ni à la libération du suicide assisté. Pour moi, ce sont deux dangers qu’il faut éviter à tout prix parce que c’est un leurre de penser que ça apportera une liberté. Aujourd’hui avec la loi existante, on arrive à prendre en charge convenablement et à soutenir convenablement la majorité de nos patients. Et quand je dis la majorité, je veux dire la très, très grande majorité. Après, il y a quelques cas sur lesquels nous avons des difficultés, dans nos structures. Certes il n’y en a pas beaucoup, mais il en reste et il ne faut pas les écarter. Mais il me semble que tant que les soins palliatifs ne seront pas développés de façon très convenable dans notre pays, il ne faudra pas essayer d’aller plus loin, dans ce que l’on pourrait croire une liberté.

Entretien réalisé par Claude Gauthier (La Marseillaise, le 13 décembre 2014)

Susan George. « La ratification du TAFTA serait un coup d'État… »

le 09 décembre 2014

Susan George. « La ratification du TAFTA serait un coup d'État… »

Invitée dans le cadre des grands débats à Montpellier, la présidente d’honneur d’Attac évoque dans son dernier livre « Les Usurpateurs » (Seuil) la prise de pouvoir des transnationales.

Franco-américaine, Présidente d’honneur d’Attac-France, et Présidente du Conseil du Transnational Institute (Amsterdam), Susan George s’est engagée depuis longtemps dans les combats internationaux contre les effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste.

La Marseillaise. Votre ouvrage pose ouvertement la question du pouvoir illégitime des entreprises qui mine les fondements de notre démocratie représentative. Sur quels constats ?

Susan George. Tout le monde est conscient de l’action des entreprises auprès de tous ceux qui font les lois pour défendre leurs intérêts. Mon livre donne des détails sur ces lobbys et lobbyistes « classiques » mais s’intéresse bien plus à leur capacité à se regrouper par branche -agro-alimentaire, chimie, pharmaceutique etc.- dans des institutions aux noms bien anodins comme les  conseils, fondations ou instituts. Ces organisations sont beaucoup plus subtiles dans leurs techniques de communication et de persuasion. Elles parviennent à biaiser la législation dans la santé publique, l’environnement ou la consommation. Je consacre une grande partie du livre à ces usurpateurs qui pénètrent, souvent sur invitation, dans les institutions nationales et supranationales comme les Nations-Unies.

La Marseillaise. Comment évaluer l’ampleur actuelle du lobbying ?

Susan George. Le Congrès des USA dispose d’un registre assez complet et plutôt contraignant. Le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, vient d’annoncer que l’enregistrement sera aussi obligatoire auprès des institutions de l’UE. C’est tout à son crédit et déjà les plus grandes banques internationales comme Goldman Sachs ou HSBC s’enregistrent. On trouve aussi de bons outils d’information sur Internet. Mon livre en donne un résumé aussi complet que possible. Il s’adresse au lecteur dit généraliste, ce pourquoi j’ai souhaité privilégier l’urgence et non pas faire quelque chose d’universel. Je donne des pistes pour continuer ce travail de dévoilement.

La Marseillaise. Où situez-vous l’urgence ?

Susan George. Le plus urgent c’est le Traité entre les États-Unis et l’UE dit TAFTA ou TTIP. Ce traité est actuellement négocié à huis-clos. Si nous n’arrivons pas à l’arrêter avant qu’il soit ratifié, ce sera un véritable coup d'État contre la démocratie et contre les citoyens qui sera perpétré. C’est la raison pour laquelle je traite le sujet sur le plan international. Actuellement les entreprises des deux cotés de l’Atlantique s’unissent pour obtenir gain de cause.

La Marseillaise. De quels moyens dispose la justice face à des personnes qui gouvernent sans gouvernement ?

Susan George. Si le TAFTA passe, la justice aura de moins en moins de moyens. Avec le système de règlement des différends dit « de l’investisseur à État », l’entreprise pourra porter plainte contre un gouvernement dont une mesure quelconque aura entamé ses profits actuels ou même futurs. Le texte prévoit le jugement par un tribunal privé composé de trois arbitres issus des très grands cabinets d’avocats d’affaires internationaux, sans appel et à huis-clos.

La Marseillaise. Pourquoi le noyautage des institutions politiques internationales, nationales, régionales ne provoque-t-il pas une réaction de la sphère politique légitime ?

Susan George. Excellente question ! La réponse est : « Je ne sais pas ». Comment se fait-il que nos gouvernements à tous les niveaux soient si ouverts, si complaisants à l’égard des Transnationales ? Ce ne sont même pas elles qui fournissent les emplois. Les gouvernements prétendent chercher « l’emploi » à tous les coins de rue mais les vrais leviers en Europe sont les PME qui produisent environ 85% des emplois. Celles-ci sont négligées, laissées à la portion congrue. Les banques refusent de leur faire crédit et les États continuent à faire les yeux doux aux entreprises géantes qui réduisent leur personnel chaque fois qu’elles le peuvent pour satisfaire leurs actionnaires.

La Marseillaise. Sur quels fondements philosophiques et éthiques les citoyens dont la légitimité est bafouée peuvent-ils asseoir leurs revendications ?

Susan George. Il faut baser notre éthique du refus et de la revendication sur ce que l’Europe a fait de mieux dans son Histoire plutôt salie par les guerres, la colonisation, la Shoah, j’en passe et des meilleurs… Avec les États-Unis, elle est le berceau des Lumières, des révolutions contre le pouvoir, de l’invention de la démocratie et de la justice en tant qu’institution. C’est un travail toujours à recommencer et aujourd’hui plus que jamais. Je commence mon livre en rappelant ce qui donne sa légitimité au pouvoir, à commencer par le consentement des gouvernés et l'État de droit. Cela, les transnationales s’en fichent comme d’une guigne.

La Marseillaise. La référence à l’héritage des Lumières n’est-elle pas en partie partagée par les néo-libéraux ?

Susan George. Oui, dans le sens où les néo-libéraux ne tiennent pas à gouverner directement. Il y a des subalternes pour ça ! du moment qu’ils peuvent dicter le contenu des politiques, ça leur suffit. Cela nécessite tout de même des lois qui, du point de vue du citoyen -ou de la nature si elle avait les moyens de s’exprimer- sont de très mauvaises lois. Le TAFTA serait un exemple achevé de la manière qu’ont les grandes entreprises de diriger en laissant le sale boulot, les négociations proprement dites, aux fonctionnaires politiques.

La Marseillaise. Il ne suffit pas de renverser les dictateurs mais d’opposer une résistance constante dites-vous…

Susan George. Eh oui ! J’espère que mon livre donnera aux citoyens de meilleurs moyens pour résister et exiger de profonds changements. Ceux qui lisent ces lignes peuvent commencer par joindre leur signature aux centaines de milliers d’autres qui refusent le TAFTA.

Recueillis par Jean-Marie Dinh (La Marseillaise, le 9 décembre 2014)

Gérard Dumenil. « Les utopies peuvent mobiliser les énergies »

le 08 décembre 2014

Gérard Dumenil. « Les utopies peuvent mobiliser les énergies »

L’économiste est à Marseille mercredi soir à la Maison de la Région pour débattre autour de l’économie, de l’écologie et des utopies.

Les travaux des économistes marxistes Gérard Duménil et Dominique Lévy rencontrent un écho international, en Europe, en Asie, en Amérique Latine ou aux États-Unis (deux de leurs ouvrages ont été publiés par Havard University Press). Après la publication de leur dernier livre, « La grande bifurcation, en finir avec le néolibéralisme » (La Découverte, 2014), Gérard Duménil sera à Marseille mercredi 10 décembre à 18h30, à La Maison de la Région, pour débattre autour d’un thème ambitieux : Économie, Écologie et Utopies. La convergence des voies qui mènent aux trois crises.

La Marseillaise. Vous explicitez la nature des trois crises et leurs interactions : crises économique, écologique et des utopies. La crise de 2008 a mis à jour l’instabilité inhérente au capitalisme néolibéral dominé par la finance anglo-saxonne. Pourtant, malgré sa violence, aucun bouleversement n’est survenu, ni au plan économique, ni au plan politique… A première vue en tout cas.

Gérard Dumenil. La crise de 2008 est celle du capitalisme néolibéral, établi au début des années 1980. Toutes les politiques et les modes de gestion des entreprises ont été réorientés vers un objectif quasi unique, la maximisation des revenus des classes supérieures. La crise aurait pu, ou dû, remettre en question ces orientations. En Europe, les politiques tournent à l’obsession malgré leur inefficacité. D’une part, rassurer les banques créancières des États, en coupant les déficits publics ; d’autre part, diminuer le coût du travail - la pente vers un trou sans fond. Aux États-Unis, qui se sentent menacés dans leur hégémonie mondiale, le gouvernement intervient fortement : abaissement du coût du travail des travailleurs industriels les moins favorisés, protectionnisme caché, subventions aux entreprises, abaissement spectaculaire du coût de l’énergie par l’exploitation des gaz de schistes, et lutte musclée contre les paradis fiscaux. Le pays se donne le temps d’un changement plus profond qui viendra ou ne viendra pas.

La Marseillaise. Concernant la crise écologique, le récent rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) soutient qu’il est encore possible de limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés, sans brider sensiblement la croissance. Qu’en pensez-vous ?

Gérard Dumenil. Le rapport fait état d’une « possibilité ». La presse des États-Unis a dénoncé la disparition du texte des conclusions les plus pessimistes à la demande des gouvernements ! Le raisonnement se fait en quatre temps : des projections démographiques, l’augmentation de la production par habitant, la quantité d’énergie requise par chaque unité de production, et les émissions de CO2 pour chaque unité d’énergie. En « multipliant » ces facteurs, on aboutit à une prévision d’émission totale de CO2. En retenant des options très avancées sur tous les facteurs sauf la croissance, le rapport parvient au scénario très peu crédible souhaité par les autorités. Il montre, cependant, que des voies sont ouvertes, pas nécessairement « décroissantistes », mais on saisit très bien qu’elles exigeraient une reprise en main musclée par les autorités et de hauts degrés de collaboration internationale.

La Marseillaise. L’échec des pays se réclamant du socialisme et l’entreprise de délégitimation du marxisme ont longtemps stérilisé la régénérescence de l’appareil analytique et conceptuel marxiste. Vous parlez de crises des utopies, cependant, depuis quelques temps, plusieurs auteurs, philosophes, économistes, proposent des « relectures » de Marx, et vous êtes partie prenante de cette « actualisation » du marxisme…

Gérard Dumenil. Par « utopies », j’entends des projections très optimistes vers un futur d’émancipation de l’humanité. Elles sont seules capables de mobiliser les énergies militantes au-delà de l’horizon des sociétés de classe et de la désespérance néo-libérale, sachant que ce sera long et que la perfection n’est pas de ce monde. Des lumières et de la révolution française jusqu’à la formation du mouvement ouvrier, une vague prodigieuse d’espoir s’était levée - qui a tourné à la tragédie dans les pays qui se réclamèrent du socialisme. Tout est à refaire, en prenant d’abord conscience des causes de cet échec. La référence à Marx est inévitable mais une dose considérable de « révisionnisme » est également requise.

La Marseillaise. La seconde partie du titre de votre exposé suggère l’existence de liens entre ces trois crises. De quoi s’agit-il ?

Gérard Dumenil. On peut les résumer en cinq propositions : (1) Ni la crise économique ni la crise écologique ne se causent mutuellement. (2) Ni l’une ni l’autre n’ont suscité les forces nécessaires au renouveau des utopies, seul susceptible de nourrir un projet ambitieux - les jeunes semblent y venir pourtant, mais ils devront refaire tout le chemin. (3) La crise économique des pays des vieux centres les retient de donner l’exemple. Sans cet exemple, le reste du monde ne suivra pas. (4) La reprise en main des processus écologiques et économiques est incompatible avec les dynamiques capitalistes. Elle doit être « organisée » par des « cadres » prenant leur distance par rapport aux intérêts des possédants et sous pression populaire. (5) Dans le contexte de la crise des utopies, cette transition, si elle se fait finalement (à temps ?), a toute chance de se faire à droite et non à gauche c’est-à-dire en respectant les intérêts des classes populaires. L’enjeu principal de ces orientations politiques est le partage des coûts.

Entretien réalisé par La Marseillaise, le 8 décembre 2014