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Alexis Nouss. « L'exilé, c'est la condition humaine »

le 01 November 2015

Alexis Nouss. « L'exilé, c'est la condition humaine »

La question des migrants se résoudra-t-elle autrement que sous l'angle statistique. C'est le pari d'Alexis Nouss, professeur de littérature à à Aix-Marseille qui signe « La condition de l'exilé ».

La Marseillaise. Migrants, réfugiés, exilés, la crise qui se joue sous nos yeux est-elle aussi une question de sémantique ?

Alexis Nouss. Tout a fait. Le discours public aime nous orienter vers un monde de catégories. Parler de migrant, cela sert les statistiques, les rapports d’économistes. Migrant, ce n’est pas un sujet, ni un vécu. C’est un lexique économique, presque animal qui enlève toute condition humaine. En revanche, l’exilé c’est la condition humaine, qui par conséquent responsabiliserait tout le monde.

La Marseillaise. Jusqu’à présent, l’Union européenne se montre dans l’incapacité de solutionner ce problème.

Alexis Nouss. L’Europe a la responsabilité historique d’accueillir « ceux qui arrivent », quel que soit leur langage. Si Bruxelles n’arrive pas à travailler à partir de ses valeurs d’origine, alors Bruxelles ce n’est pas l’Europe. Il ne faut pas oublier que l’Europe dépend des diverses communautés nationales. L’exil c’est l’ADN de l’Europe. Le désir de bouger a toujours été présent en Europe. De grands écrivains ont écrit leurs plus belles pages en exil : Ovide, Dante, Hugo. Nous savons donc ce qu’est l’exil. Les religions aussi puisque les trois discours monothéistes ne parlent que d’exil. Toute notre vision du monde intègre l’exil.

La Marseillaise. Mais cette crise qui dure, n’est-elle pas finalement utile à ceux qui prônent le durcissement des politiques migratoires ?

Alexis Nouss. Bien évidemment. Il y a un réel déficit d’Europe et du coup, les États nationaux durcissent leurs politiques. Aucun gouvernement européen ne peut aujourd’hui raisonnablement demander de l’aide à l’Europe sur ce sujet car l’Europe ne représente rien pour les peuples. L’éducation à l’idée européenne n’a pas été faite.

La Marseillaise. Un des facteurs manquant à l’équation semble la faible solidarité ou, tout du moins, une solidarité qui peine à se faire entendre, face au discours dominant.

Alexis Nouss. En janvier, des millions de gens sont descendus dans la rue pour dire qu’ils étaient Charlie. Mais qui sortira pour dire Je suis un migrant ? L’image du petit Aylan, mort noyé et échoué sur une plage, a choqué le monde. Et alors ? Et après ? Pourquoi la France, qui a montré qu’elle peut descendre dans la rue, ne le fait-elle pas alors que se joue un drame à notre porte ?

La Marseillaise. Faudrait-il carrément revoir la politique d’accueil ? Des premières annonces timides ont été faites par les chefs d’État européens.

Alexis Nouss. Ce n’est pas grand chose. 24.000 réfugiés accueillis en deux ans en France, c’est une goutte d’eau. Il y a la nécessité d’inventer autre chose. Dans les années 80-90 j’avais travaillé sur le phénomène de métissage. Et j’avais imaginé la création d’un statut de citoyen métis. Une nouvelle citoyenneté, européenne que nous pourrions accorder à ces personnes, avec un passeport. Ce serait une occasion à ne pas manquer dans cette Europe en déclin.

La Marseillaise. A ce propos, vous n’hésitez pas à inclure le volet économique à la question de l’exil.

Alexis Nouss. Pourquoi le nier, en faire un tabou ? On a aussi besoin de ces exilés pour des raisons économiques et démographiques en Allemagne et économiques en France. Beaucoup de Syriens font partie de la classe moyenne et pourraient beaucoup apporter. Mais il ne faut pas se limiter à ces domaines.

La Marseillaise. C’est-à-dire ?

Alexis Nouss. Il y a aussi à prendre en considération l’apport culturel et linguistique. Les arrivants parlent une autre langue. Qu’elle devienne une langue européenne ! Les exilés apportent un autre regard sur le monde.

La Marseillaise. La question des exilés pose également celle de l’identité, au sein d’une communauté établie.

Alexis Nouss. C’est avant tout la crise de l’accueil de l’autre, de l’identité européenne. Être européen c’est être capable de se sentir autre. C’est très présent en littérature. Flaubert disait « Madame Bovary, c’est moi » ! Nous devrions être capables de dire « L’exilé syrien, c’est moi » !

La Marseillaise. Comment la vie, le parcours, l’identité de ces exilés pourraient être mieux pris en compte ? Loin des actuels critères chiffrés.

Alexis Nouss. En les intégrant dans des dispositifs culturels et éducatifs. Ce qui vient d’ailleurs et extraordinaire, au premier sens du terme. Regardez par exemple dans le domaine culturel, un film français en langue étrangère : Dheepan. Ce film de Jacques Audiard démontre que c’est possible. Un artiste français a créé en langue étrangère. La culture à la française n’est-elle pas également l’accueil en France de Picasso, Beckett, où la frontière existe comme une limite à franchir ? Où l’artiste est à l’aise dans l’ici et le là-bas. Tout cela, ce n’est pas fusionner, c’est échanger nos différentes appartenances.

La Marseillaise. Vous évoquez également la question de frontière. Cette limite physique mais aussi intérieure entre le « moi » et « l’autre ».

Alexis Nouss. Nous vivons là un énorme paradoxe. On nous dit à la fois que les frontières n’existent plus, du fait de la mondialisation, mais qu’elles doivent exister avec Schengen. Il y a un double discours : oui je reçois chez moi des produits chinois qui entrent à l’intérieur de ma vie, mais ce n’est pas possible pour les humains. On a toujours construit des frontières, des lignes, des murs, alors que nous devons vivre dans un monde ouvert.

Entretien réalisé par Sébastien Madau (La Marseillaise, le 1er novembre 2015)

A lire : La condition de l'exilé, de Alexis Nouss, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2015.

Jacques Fath. « Il y a urgence à penser une mondialité solidaire »

le 25 October 2015

Jacques Fath. « Il y a urgence à penser une mondialité solidaire »

Avec « Penser l'après... », Jacques Fath, ancien responsable du secteur Relations internationales au PCF, livre une analyse sur l'ordre mondial. Et les pistes pour le changer. Entretien.

La Marseillaise. L’actuel cadre des relations internationales n’est pas des plus réjouissants. Comment l’expliquer ?

Jacques Fath. Nous vivons une crise de grande ampleur, une accélération de l’Histoire qui témoigne d'un besoin de transformation sociale. Même aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, des expressions politiques traduisent cette attente. Cela mérite réflexion.

La Marseillaise. Comment renverser la tendance qui pour beaucoup semble irréversible ?

Jacques Fath. Nous nous devons de produire une analyse critique des réalités avec la vision et l'ambition d'une société nouvelle et d'un autre ordre international. C'est une façon de s'identifier comme porteurs d'avenir. C'est compliqué car nous construisons pour demain tout en vivant dans le temps politique de l'immédiat et des solutions immédiates.

La Marseillaise. Quel aura été le plus grand fléau des dernières décennies ?

Jacques Fath. Incontestablement –sur l'international– les guerres : en Afrique, au Proche-Orient, contre le peuple palestinien… Les conflits, les inégalités, les humiliations, les dominations ont créé un état de violence et d’insécurité majeure pour les peuples et le monde. Du coup, pour les communistes, les progressistes, c'est toute une vie militante consacrée à la solidarité, à la justice, à la démocratie, à la paix.

La Marseillaise. Que serait une vision progressiste de la sécurité du monde ?

Jacques Fath. Le terme de sécurité peut interroger. Mais je crois à son bien-fondé dans un contexte de crise. Il faut répondre en construisant de la sécurité économique, sociale, écologique, institutionnelle.

La Marseillaise. Cette insécurité mondiale n’est-elle pas la conséquence d’un échec de l’ONU ?

Jacques Fath. Si l’ONU n’existait pas, je ne sais pas dans quel monde nous vivrions. Elle reste un cadre universel et légitime indispensable. Elle devrait être réformée pour renforcer les pratiques du multilatéralisme, empêcher son instrumentalisation. L’ONU est en danger. L'urgence est de la préserver.

La Marseillaise. L'ordre mondial ne sera-t-il pas le même tant qu’existera l’OTAN ?

Jacques Fath. Avec la chute du Mur, en 1989, on pouvait penser à sa disparition. Mais les puissances occidentales ont choisi de la conserver pour faire valoir leurs intérêts stratégiques et leur visées hégémoniques. En France, un gouvernement dirigé par le PS s'est s’inscrit dans cette logique de type néo-impérial. Sarkozy avait engagé le processus de réintégration dans l'organisation militaire de l'OTAN, Hollande a entériné ce choix qui nourrit les conflits et les ventes d'armes dans le contexte international d'une course aux armements qualitativement nouvelle. Il faut une rupture mettant en cause jusqu'à l'existence de l'OTAN.

La Marseillaise. En Syrie, la situation a échappé à tout le monde, et l’heure est à l’urgence.

Jacques Fath. Effectivement. Nous sommes devant un cumul de problèmes : pauvreté, despotismes, corruption, déstabilisation sociale et institutionnelle, expansion du terrorisme, fruit de la crise et des guerres de domination. Et les bombardements de la France, dans le cadre de la coalition dirigée par Washington, ne sont qu'une posture militarisée dans un contexte préoccupant. C'est le multilatéralisme onusien qui devrait être le cadre des solutions et des négociations pour une issue politique en Syrie, pour une réponse sécuritaire régionale commune à l'offensive du djihadisme armé. Devant de tels défis la responsabilité collective devrait l'emporter dans une concertation qui n'exclut personne, ni la Russie, ni l'Iran.

La Marseillaise. Mais comment cultiver ce besoin de sécurité en temps de paix ?

Jacques Fath. Penser l'après signifie construire les conditions d'une Sécurité humaine (un concept de l'ONU) et de développement social pour tous. C'est parce que cette exigence a été sacrifiée sur l'autel des intérêts de puissances et des politiques néocoloniales que l'on se retrouve devant des crises qui appellent des réponses immédiates difficiles à mettre en œuvre. Les peuples paient cher les violentes politiques d'exploitation et de domination capitalistes. Plus les urgences se font pressantes, plus elles poussent à penser l'après pour construire une mondialité solidaire. Cela impose un effort de créativité politique.

La Marseillaise. Cet été, les rapports internationaux se sont portés sur la Grèce. Est-on éloigné des problématiques de sécurité?

Jacques Fath. Pas du tout. Le rapport est même évident ! Nombre de pays sont placés sous ajustement structurel c'est-à-dire sous conditionnement néolibéral draconien. C'est le cas de la Grèce. L’ultralibéralisme produit les conditions l'affaiblissement économique, du démantèlement social, de la déliquescence des États. Cela crée une prédisposition aux conflits. L’Europe est touchée différemment du fait de son niveau de développement et de ses systèmes institutionnels. Mais chaque fois, la logique de la déstructuration des sociétés se met en marche lorsque les peuples, sous contrainte extérieure, n’accèdent plus aux moyens suffisants pour leur développement.

La Marseillaise. Depuis 1945, la question de l'armement nucléaire a cristallisé les positions.

Jacques Fath. Pour le 70e anniversaire des bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, on attendait un vrai débat sur ces questions. Il a été contourné. Durant la guerre froide, la question était centrale. Aujourd’hui, elle se pose différemment. Le nucléaire militaire n'est pas une option pertinente dans les crises actuelles. C'est un basculement géopolitique. Nous avons deux raisons justifiant le combat pour le désarmement et l'élimination des armes nucléaires. D'abord, ces de armes font peser une menace existentielle inacceptable, des risques d’accidents redoutables et une insécurité permanente. Elles doivent être éliminées et interdites comme les autres armes de destruction massives chimiques et biologiques. Ensuite, les armes nucléaires ont perdu de leur pertinence stratégique. Elles sont censées garantir un statut politique de puissance dominante. D'où la crispation française sur la dissuasion. Cette situation explique que 159 pays de l'ONU se sont prononcés pour leur abolition. Ce n'est pas rien !

La Marseillaise. Comment le communiste que vous êtes a dû « penser l’après » chute du Mur ?

Jacques Fath. Il a fallu affronter l'échec des pays dits du socialisme réel qui se voulait une alternative au capitalisme. Mais les communistes français avaient déjà évolué. Nous n’étions pas totalement désarçonnés. Aujourd'hui, c'est le système d'exploitation et le monde du capitalisme qui montrent leur inefficacité structurelle, leurs dérives antidémocratiques, leurs violences insupportables. La chute du Mur est un appel à dépasser les modes de développement jusqu'ici expérimentés. Mais nous devons faire face à ce que j'appelle la crise de la pensée stratégique : une pensée de la guerre, de la puissance et de l'exercice de la force, aujourd'hui en échec. Mais l'en- jeu est plus global. Il porte sur la capacité à répondre à tous les questionnements économiques, sociaux, écologiques et mondiaux. A changer le monde, en quelque sorte !

Propos recueillis par Sébastien Madau (La Marseillaise, le 25 octobre 2015)

« Penser l’après… » Éditions Arcane 17 / 2015 Infos sur le https:// jacquesfathinternational.wordpress.com/.

Ambroise Croizat, le bâtisseur de la Sécurité sociale

le 03 October 2015

Ambroise Croizat, le bâtisseur de la Sécurité sociale

La Sécurité sociale a 70 ans. Cet anniversaire sera célébré mardi à la Mutualité à Paris en présence du chef de l'État alors que le projet de loi santé fera l'objet d'un vote solennel. Une cérémonie à laquelle l'historien Michel Etiévent a refusé de participer dénonçant « une manipulation de l'Histoire ». Pour le biographe du fondateur de la Sécurité sociale, le Ministre communiste Ambroise Croizat est une nouvelle fois le grand oublié.

La Marseillaise. Que pensez-vous des commémorations du 70e anniversaire du modèle social français ?

Michel Etiévent. Le problème est qu'il est médiatisé par ceux qui s'inscrivent dans le sillage de 70 ans de démantèlement de la Sécurité sociale. Et qu'une fois encore, la gauche au pouvoir comme l'a fait la droite par le passé d'ailleurs, utilise la figure de Pierre Laroque. Or, faut-il le rappeler, et malgré tout le travail qui a été fait, Pierre Laroque n'était qu'un fonctionnaire d'Ambroise Croizat, le bâtisseur. Cette utilisation relève de la manipulation. Cela permet d'une part de ne pas évoquer les actions des communistes dont celles d'Ambroise Croizat et de François Billoux, Ministre de la Santé de l'époque. Et d'autre part d'effacer la notion même de construction collective de la Sécurité sociale. Car celle-ci est une fabrication du peuple de France. De tous ses ouvriers, essentiellement cégétistes qui ont bâti les caisses dans un enthousiasme absolument indescriptible.

La Marseillaise. Quelle est la genèse de la Sécurité sociale ?

Michel Etiévent. C'est une longue bataille qui nous vient du fond des siècles. Depuis le moment où le peuple a voulu en finir avec la charité pour aller vers la solidarité. Elle se nourrit de la Révolution française. Dans l'un des articles de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1793, il est cité la nécessité du droit à la santé en ces termes : « Les secours publics sont une dette sacrée. » Puis, il y a eu le combat des mutuelles au 19e siècle, des syndicats et enfin des assurances sociales. Mais le socle fondateur est le programme du Conseil national de la Résistance qui en 1944 stipule que devra naître une Sécurité sociale. A cette époque Ambroise Croizat est à Alger avec le général De Gaulle. Il va alors s'emparer de cette phrase du CNR : « Nous combattants de l'ombre exigeons une véritable démocratie sociale impliquant un plan de sécurité sociale qui permettra de donner des moyens d'existence à tous ceux qui ne peuvent se les procurer par le travail avec gestion par les intéressés. » Entouré de résistants et de parlementaires, il va entamer une réflexion. Puis, l'ordonnance 4 octobre 1945 va définir l'existence de la Sécurité sociale. Une ordonnance qui ne comportera que quatre pages. Restera donc à construire le système. Et ce sera l'œuvre principale du peuple de France qui se fera en huit mois seulement. 138 caisses et 113 centres d'allocations familiales sont bâtis bénévolement par ce petit peuple qui va désormais gérer son nouveau droit à la santé.

La Marseillaise. Pourquoi s'être intéressé à l'homme auquel vous avez consacré une biographie ?

Michel Etiévent. Je suis attaché au personnage pour des raisons qui tiennent notamment à mon enfance. J'ai été élevé dans la maison où il est né à Notre-Dame-de-Briançon (Savoie). Et très tôt j'ai entendu parler de cet homme. Ceux qui m'en parlaient avaient les yeux qui pétillaient. Tout simplement parce qu'il avait fait renaître un sentiment de dignité dans le quartier en créant la Sécurité sociale mais pas seulement. Les Comités d'entreprise vont aussi voir le jour et avec eux, l'opportunité de partir en vacances, la possibilité de lire ou encore d'obtenir des bourses scolaires par exemple…

La Marseillaise. Pour Ambroise Croizat, la création de la Sécurité sociale s'inscrit dans la suite logique de son engagement pris très jeune…

Michel Etiévent. En 1906, son père lance la première grande grève en France justement pour la protection sociale. Il est licencié non sans avoir obtenu malgré tout la création de la première caisse de secours, les prémices de la Sécurité sociale. Sa famille s'installe alors dans la région de Lyon. Le jeune Ambroise adhère à la CGT à 13 ans puis au Parti communiste français. Il va ainsi poursuivre le combat de son père. Il sera élu député de Paris, puis déporté par Pétain, avant de devenir Ministre du Travail à la Libération.

La Marseillaise. Un Ministre du Travail qui en deux ans seulement va laisser un héritage social considérable…

Michel Etiévent. Effectivement. Mais s'il est au gouvernement à la Libération et qu'il crée la Sécurité sociale, c'est parce qu'il existe à cette époque un vrai rapport de forces. Et celui-ci est simple : 29% des voix au PCF, 5 millions d'adhérents à la CGT, une classe ouvrière grandie par sa résistance et un patronat mouillé par sa collaboration. Mais l’œuvre d’Ambroise Croizat ne s’arrête pas à la Sécurité sociale. Il est à l’origine de bien d’autres conquêtes comme la mise en place de la médecine du travail, la prévention dans l'entreprise, mais aussi les statuts différents de la fonction publique avec Maurice Thorez, ou encore ceux des électriciens gaziers avec Marcel Paul…

La Marseillaise. Alors pour quelles raisons Ambroise Croizat est-il le grand oublié de l'Histoire ?

Michel Etiévent. Tout d'abord parce qu'il est communiste. Et qu'on ne veut pas attribuer une conquête aussi énorme que celle-ci à un communiste. D'ailleurs, il répétait souvent : « Ne dites jamais acquis social, dites conquis social pour bien montrer que les choses ne sont jamais acquises mais qu'elles sont conquises. » Et puis à partir du moment où les États-Unis créent le syndicat FO en France pour casser l'unité ouvrière, on voit bien dès la fin de 1947, dès l'éviction des Ministres communistes, que les attaques commencent. On exclut alors complètement Croizat de la mémoire. Il disparaît des manuels scolaires en pleine Guerre froide. Il a fallu des années de bataille pour qu'enfin hommage lui soit rendu.

La Marseillaise. Et pourtant, il est toujours d'une très grande modernité…

Michel Etiévent. Ambroise Croizat fait partie de ces hommes issus de la Libération qui ont su mettre l'Homme au centre de leurs choix politiques. Il disait : « Ce n'est pas les banques qu'on veut sauver, c'est l'Homme. » Sa force est d’avoir su faire le lien entre le social et le politique. « Si on veut une économie de qualité à la hauteur des besoins d'une nation il faut un véritable statut social à la hauteur des besoins des hommes » répétait-il. L'idée était de protéger l'individu de sa naissance à la mort. Ce qu’il a d’ailleurs fait avec le triplement des allocations familiales par exemple. Puis en lançant les lois sur la formation professionnelle, puis les conventions collectives, les statuts, la prévention dans l'entreprise... Et pour finir, la généralisation des retraites. Tout cela reste d'une actualité extrêmement brûlante.

La Marseillaise. Et pourtant la casse du système a commencé il y des décennies…

Michel Etiévent. En effet, elle débute à partir des années 1958, essentiellement avec le général De Gaulle. Au départ, les caisses de Sécurité sociale, selon les vœux du CNR, étaient gérées par les ouvriers. Trois quarts des sièges dans les conseils d'administration étaient attribués aux salariés, un quart aux patrons. De Gaulle commence par supprimer l'élection du directeur par le conseil d'administration. Ce-lui-ci sera désormais nommé par l'État. Deuxième chose, il établit un contrôle préalable des budgets. Et l'État commence à s'en emparer. Avec les ordonnances de 1967, le général De Gaulle coupe la Sécurité sociale en tranches. Alors que tous les risques sociaux sont dans la même caisse, ce qu'on appelait l'unicité, il organise trois grandes caisses différentes. Il supprime les élections et surtout établit le paritarisme. Après, c'est une avalanche de plans successifs : les plans Barre, Dufoix, Juppé, Raffarin… On établit les franchises, on dérembourse les médicaments, on instaure le forfait hospitalier et on arrive aujourd'hui à une situation où près de 30% des Français ne peuvent pas, renoncent ou hésitent à se soigner pour des raisons financières. C'est 70 ans de casse du système de protection sociale. Et au fond, ces commémorations sont une vaste fumisterie, d'une hypocrisie terrible.

La Marseillaise. Alors dans un tel contexte, comment saluer le travail d’Ambroise Croizat ?

Michel Etiévent. Le meilleur hommage qu'on puisse lui rendre, c'est dans la rue le 8 octobre pour défendre cette immense conquête. Et de garder en tête ses paroles : « Jamais nous ne tolérerons qu’un seul des avantages de la Sécurité sociale soit mis en péril. Nous défendrons à en perdre la vie et avec la plus grande énergie cette loi humaine et de progrès. » Afin que la Sécurité sociale ne soit pas une coquille vide livrée au privé mais qu'elle reste ce que ces femmes et ces hommes de la Libération ont voulu qu'elle soit : un vrai lieu de solidarité, un rempart contre la souffrance, le rejet et l'exclusion.

La Marseillaise. Mais comment résister en 2015 ?

Michel Etiévent. Il existe aujourd'hui près de deux mille points de lutte en France. Alors comment les fédérer au sein d’un grand mouvement qui pourrait ressembler à celui du Front populaire par exemple ou à celui de la Libération ? Il est évident que rien ne sera possible sans rap- ports de forces. Rapports de forces, qui dans l'Histoire, ont permis de faire plier le patronat. Il n 'existe aucun conquis social qui n'ait été précédé d’une intervention populaire.

Entretien par Sandrine Guidon (La Marseillaise, le 3 octobre 2015)

Un bien commun et précieux

Le comparatif est régulièrement fait par les défenseurs de la Sécurité sociale mais il est toujours nécessaire. Dans un pays exsangue, ruiné par la guerre et avec un patronat qui, dans sa majorité, avait collaboré avec l’ennemi, la France a réussi à mettre en place (et donc à financer) un système de protection sociale novateur. N’ayons pas peur des mots : révolutionnaire. Pour la première fois, les travailleurs et leurs familles se voyaient protégés dans leur vie quotidienne, grâce à un système solidaire de salaire différé permettant à chacun de contribuer en fonction de ses moyens et de recevoir en fonction de ses besoins.

La « Sécu » est le résultat d’un engagement du Conseil national de la Résistance qui, dès 1943, sous la direction de Jean Moulin, avait tracé les grandes lignes de la société française d’après-guerre. Après la Libération, le CNR a su tenir le cap en maintenant son programme. Ambroise Croizat a été un artisan essentiel de cette politique dans le monde du travail et de la protection sociale. Alors que d’aucun espérait se regagner une virginité, le métallo devenu Ministre communiste a puisé dans son parcours personnel pour ne pas céder au message des chantres de la (fausse) réconciliation nationale. La classe ouvrière se devait d’être protégée après les efforts fournis dans la Résistance.

Si l’acte de création de la « Sécu » est ancré dans l’histoire sociale française, elle n’est pas pour autant épargnée par les attaques et les remises en cause de ce système redistributif. Le patronat et les libéraux font de son détricotage un de leurs objectifs principaux dans le cadre de leur projet de refonte de la société. Ils ont compris que le prélèvement sur les salaires pouvait représenter une manne financière énorme, et surtout une source de profit. Les mobilisations de soutien ne sont pas rares mais ne seront jamais assez nombreuses. Elles doivent être développées. Non pas au nom d’une madeleine de Proust historique à défendre mais bel et bien parce que, 70 ans plus tard, la Sécurité sociale est une idée d’avenir.

Sébastien Madau (La Marseillaise, le 3 octobre 2015)

70 ans de réformes et de plans de redressement

1945. Les ordonnances des 4 et 19 octobre posent trois principes : « Une organisation unique, un financement solidaire par prélèvement sur les revenus et une gestion par les partenaires sociaux. »

1946. Le préambule de la Constitution proclame que la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Reconnaissance des régimes spéciaux.

1956. Mise en place du minimum vieillesse.

1967. Les risques sont répartis en trois caisses (maladie, vieillesse, famille). Des taxes sur le tabac et l'alcool sont affectées à la Sécu.

1980. Création d'un secteur d'honoraires libres pour les médecins.

1982. L'âge légal de la retraite est abaissé de 65 à 60 ans.

1988. Le Revenu minimum d'insertion (RMI) est institué pour les plus de 25 ans. Remplacé en 2009 par le Revenu de solidarité active.

1991. Création de la Contribution sociale généralisée (CSG). 1993: La durée de cotisation pour une retraite à taux plein passe à 40 ans.

1996. La réforme Juppé permet au Parlement de voter des lois de financement de la Sécurité sociale.

1999. Création de la couverture maladie universelle (CMU).

2003. Réforme des retraites.

2004. Instauration du médecin traitant et du forfait de un euro par acte médical et de biologie.

2010. L'âge légal de départ à la retraite est relevé de 60 à 62 ans, de 65 à 67 ans pour une retraite à taux plein. Un dispositif de départ anticipé au titre de la pénibilité est créé.

2014. Allongement de la durée de cotisation et création du compte pénibilité.

2015. Les allocations familiales sont modulées en fonction des revenus. Instauration prochaine d'une « protection universelle maladie ».

La Marseillaise, le 3 octobre 2015

Pour aller plus loin

Autobiographie. « Ambroise Croizat ou l'invention sociale » de Michel Etiévent. Disponible auprès de l'auteur : Michel Etiévent - 520, avenue des Thermes - 73600 Salins les Thermes. Règlement 25 euros + 5 euros de port à son ordre. Documentaire. Diffusion courant octobre sur France 3 du documentaire de 52mn « La sociale » de Michel Etiévent et Gilles Perret avant la sortie en salles d'une version longue. Conférence. Le 2 décembre, l'historien animera une rencontre sur Ambroise Croizat à la Médiathèque de l'Alcazar (Marseille 1er) 58, cours Belsunce. 04 91 55 90 00.

La Marseillaise, le 3 octobre 2015

Hervé Bramy. « La lutte pour le climat, un projet civilisationnel »

le 30 September 2015

Hervé Bramy. « La lutte pour le climat, un projet civilisationnel »

Responsable du pôle écologie au PCF, cet élu articule ce qui relève de la responsabilité de l’État et des individus. Nulle culpabilisation des citoyens mais une intervention « déterminante ».

Dans le cadre de l’exposition « trois regards scientifiques sur le climat » présentée au siège du Parti communiste à Paris, Pierre Laurent a organisé lundi un débat avec la communauté scientifique sur le réchauffement climatique. Dans le public, Hervé Bramy. Conseiller général en Seine-Saint-Denis, il est responsable national du pôle « écologie » au PCF depuis 2008. Entretien.

La Marseillaise. La COP21 a lieu dans deux mois. Est-ce un enjeu important ?

Hervé Bramy. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas nouvelle pour le PCF. En 2009, Pierre Laurent conduisait une délégation du PCF et du Parti de la gauche européenne à Copenhague où se déroulait une conférence similaire à celle qui va se dérouler à Paris. Nous y avions subi le même échec que celui vécu par la société civile, échec qui a suscité de nombreuses interrogations. Il est apparu nécessaire que les États sortent de l’égoïsme dans lequel ils se complaisent. Si l’on veut se maintenir sous la barre des 2°C supplémentaires en 2100, cela demande des décisions fortes en matière de réduction des gaz à effet de serre et donc de réduction des énergies fossiles qui les produisent.

La Marseillaise. L’absence de solidarité internationale semble marquer ces négociations ?

Hervé Bramy. Si les négociations bloquent c’est en partie parce que les pays du sud, en voie de développement, subissent de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique alors qu’ils n’en sont pratiquement pas responsables. Pour qu’un accord soit possible, il faut une vision du développement durable à l’échelle de la planète. Un point d’achoppement des négociations est l’alimentation d’un fonds vert décidé à Copenhague, de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour aider les pays du sud. Cette solidarité financière est nécessaire, tout comme le transferts de technologies et de brevets.

La Marseillaise. Le fonds vert a montré la différence entre les engagements oraux et les faits. C’est vrai dans d’autres domaines ?

Hervé Bramy. C’est la même logique avec les énergies fossiles. Il est curieux de voir que tout le monde a pris conscience du danger de ce réchauffement, du fait que sans intervention, on aboutira à une catastrophe si ce n’est pas le chaos. Y compris les chefs d’État. Et pourtant, ils continuent de subventionner à coup de centaines de milliards les énergies fossiles au lieu d’investir cet argent pour développer d’autres choix énergétiques, la rénovation des logements, le développement des transports en commun…

La Marseillaise. Ces dichotomies ne sont-elles pas aussi liées à l’ampleur de la transformation de la société que suppose cette lutte ?

Hervé Bramy. Cela semble effectivement plus facile à dire qu’à faire car cela exige ce que j’appelle un projet civilisationnel. Une fois que la décision générale sera prise, cela supposera à nouveau des décisions courageuses à court, moyen et long terme. Ce n’est pas qu’un choix technique. Réduire l’utilisation des énergies fossiles est une chose, mais il faut aussi savoir par quoi on les remplace, par quel projet ouvrant de nouvelles possibilités pour tout le monde. C’est pour cela que nous lions les enjeux des inégalités environnementales et sociales qui sont souvent conjointes. De nombreuses personnes subissent de telles conditions sociales qui leur est impossible d’agir comme elles le souhaiteraient ou comme il serait nécessaire de le faire. Remplacer un frigo par un appareil respectant les normes environnementales ? Changer sa voiture diesel pour un véhicule hybride ? Dans bien des cas c’est impossible tellement cela coûte cher. C’est pour cela que nous disons qu’il faut envisager un changement de système.

La Marseillaise. N’y a-t-il pas une bataille entre les pauvres et les riches ?

Hervé Bramy. Cela pourrait se formuler ainsi en grossissant le trait. Mais c’est surtout une bataille qui ne pourra se résoudre que par l’intervention des peuples. Comme je le disais, pour beaucoup de personnes, quand le quotidien est fait de combat pour payer un loyer, de la nourriture… ce n’est pas une priorité. Mais leur intervention reste déterminante. Ce combat est même une opportunité pour trouver une forme de croissance qui soit vertueuse et peut-être créatrice d’emplois. Prenons la rénovation des logements par exemple : il nous faudrait en rénover 500.000 chaque année. Non seulement l’engagement d’argent public n’est pas à la hauteur, mais on sait aussi que l’on ne dispose pas de suffisamment de salariés formés pour réaliser cette rénovation thermique. Si on prend les transports, on assiste à la démolition de nos infrastructures ferrées pour les marchandises comme les voyageurs alors qu’il faudrait inverser le processus, développer les réseaux et recréer de l’emploi à la SNCF. Je pourrais encore parler de la nécessité de produire localement des biens de consommations, idem pour l’agriculture que l’on doit aider à exister localement et avec des prix justes… Les sujets sont nombreux et c’est, encore une fois, un enjeu de civilisation. Cela ne pourra se faire que par la démocratie, le débat, la définition collective de ce que nous voulons.

La Marseillaise. Les citoyens ne subissent-ils une pression qui s’apparente parfois à une culpabilisation ?

Hervé Bramy. Tout ce qui tend à diviser les citoyens, les salariés, les consommateurs me semblent scandaleux d’autant que, pour la plupart d’entre nous, nous sommes captifs. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas agir au niveau individuel mais cela ne suffira pas à régler le problème auquel nous sommes confrontés. Nous devons sortir de cette société consumériste qui nous pousse à acheter un téléphone portable chaque année quand bien même les nouveautés qu’elle propose ne changeront absolument pas notre vie. Nous devons prendre garde au gâchis, ne pas consommer plus d’énergie que nécessaire, prendre les transports en commun autant que possible… Encore faut-il que ces transports en commun existent. Nous avons donc besoin d’une politique publique qui assure des services permettant aux citoyens et aux consommateurs d’agir respectueusement. Et là, les conséquences seront d’une autre ampleur.

Entretien réalisé par Angélique Schaller (La Marseillaise, le 30 septembre 2015)

OM. Une catastrophe annoncée

le 26 September 2015

OM. Une catastrophe annoncée

Comment expliquer les dérives actuelles constatées dans les travées du Vélodrome ? Alain Hayot, sociologue marseillais, tente d’apporter une réponse à un sujet complexe.

Nous publions aujourd’hui la première partie d’un entretient avec Alain Hayot, sociologue marseillais, que nous avons rencontré pour tenter de comprendre ce qui a pu déclencher les incidents lors de la rencontre OM-Lyon. Incidents qui sont à l’origine du huis clos partiel du Vélodrome demain. En attendant que la Commission de discipline de la LFP ne se prononce sur le fond d’un problème très complexe.

La Marseillaises. Alain Hayot, peut-on dire que le football est devenu un phénomène de société ?

Alain Hayot. Il l’est et cela pour deux raisons. Le foot est un support extraordinaire d’une gamme très variée d’identifications, toutes les collectivités s’identifient, y impriment une marque propre, avec un langage universel. Vous pouvez parler dans un taxi avec quelqu’un à Téhéran, Rio où je ne sais où, on vous citera Platini, Pelé ou je ne sais qui... A Marseille, il y a un langage qui s’articule autour de la devise « Droit au but ». La seconde tient à la fierté. Dans le stade, on est « Marseillais » et pas Marseille. Marseille est une ville, fière, indépendante, qui s’est toujours opposée au centre, à la capitale. Jusqu’à la victimisation. Cela renvoie a une longue histoire, à la république des Marseillais au Moyen-Age qui a duré 50 ans, à l’opposition à Louis XIV, à la ville des Fédérés durant la Révolution. Marseille, c’est la ville populaire, rebelle, cosmopolite... La ville cristallise une image de soi, une ambition de s’opposer aux autres. Aux étrangers de dehors.

La Marseillaises. Mais pourquoi cette violence face à Lyon ?

Alain Hayot. J’ai pour ainsi dire une hypothèse d’une simplicité biblique. Avant, il y avait la haine contre le PSG. Or, le PSG est désormais hors d’atteinte. Il est dans une autre catégorie inaccessible pour le moment. Alors, il faut d’autres rivalités. Dans le sillage des Parisiens, il y a deux clubs qui se disputent la suprématie, l’OM et Lyon qui, jusqu’alors, avaient tendance à s’épauler. Cela rappelle la rivalité OM-Bordeaux des années 1980, ou OM-St Etienne avant. C’est un peu le retour à une époque où Paris n’existait pas, quand aujourd’hui, il existe trop !

La Marseillaises. Cette rivalité est donc artificielle ?

Alain Hayot. Personne ne me fera croire que le choix de Jean-Michel Aulas de recruter Jérémy Morel, faire revenir Mathieu Valbuena de Moscou ou encore faire le forcing pour avoir Nicolas Nkoulou relève du hasard. Je vois là un processus de déstabilisation et de provocation de la part de Lyon. Mais ce qui s’est passé dimanche, c’est la pire des réponses. En quelque sorte, c’est la chronique d’une catastrophe annoncée.

La Marseillaises. C’était donc inéluctable ?

Alain Hayot. On sentait que quelque chose allait se produire. Répondre à une provocation par une autre provocation n’a jamais eu aucun intérêt. C’est en fait tomber dans le piège dans lequel tout le monde a fini par tomber. Le président, l’entraîneur qui a plaisanté et ne connaît pas encore bien la Ligue 1 et certains de ses enjeux. Mais également les joueurs qui ont médiatiquement soufflé sur les braises. Sur le terrain, ils se sont comportés comme des voyous. Ce qu’a fait Romain Alessandrini est inacceptable. On ne prend pas un joueur par derrière, c’est le meilleur moyen de lui casser les deux jambes. La catastrophe est arrivée et le piège s’est refermé. Nous avons eu une chance extra- ordinaire que cela ne dégénère pas autrement.

La Marseillaises. A qui la faute ?

Alain Hayot. A ce sujet, il faut faire attention et surtout ne pas jeter le bébé avec l’eau sale du bain. Le foot, c’est avant tout des gestes superbes, des émotions collectives. De la solidarité, une manière de vivre ensemble dans la paix. C’est aussi la mise en scène dramatique des valeurs contemporaines. Maintenant, force est de constater que la mainmise de l’argent sur le football a atteint un seuil totalement démesuré. On est hors des comptes. On sait pourquoi l’argent s’est jeté comme un rapace sur le football. Parce que c’est le sport le plus populaire, le plus universel. On en arrive à une médiatisation qui risque d’écraser tout le reste. La violence qui sévit dans notre société finit par jaillir dans les stades, pourquoi ? Parce que des gens qui veulent montrer qu’ils existent y trouvent une tribune dont ils sont sûrs qu’elle sera médiatisée. On est en train de tuer l’esprit collectif et les identités locales parce qu’aujourd’hui, ce qui compte, c’est acheter les meilleurs joueurs du monde. Les salaires sont en train d’écrabouiller tout esprit de club. Seuls demeurent de rares clubs qui conservent une vision sur le long terme.

La Marseillaises. Qu’en est-il des joueurs ?

Alain Hayot. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont devenus des numéros qu’on achète et vend sans même se préoccuper de savoir s’ils sont des êtres humains. On prend des gamins de 19 ans que l’on formate. Ensuite, on est surpris de les voir se casser la figure sur un terrain.

Interview réalisée par Michel Garoscio (La Marseillaise, le 26 septembre 2015)

Repères

Alain Hayot. « Ce qui s’est passé dimanche est la quintessence des dérives qu’a pris le football. Dérives négatives auxquelles il est temps de dire ça suffit ! »

15 octobre. La date à laquelle la Commission de discipline de la LFP se réunira à nouveau pour donner son verdict définitif sur le dossier des incidents du match OM-Lyon. Le huis clos partiel des deux virages du Vélodrome a été pris à titre conservatoire. Des sanctions plus lourdes sont possibles.

2007. La dernière fois que l’OM a disputé une rencontre de Ligue 1 dans un stade Vélodrome à huis clos total. C’était le 27 janvier, dans le cadre de la 21e journée face à Auxerre. Les supporters avaient fait appels de cette sanction et avaient eu gain de cause aux dépens de la LFP.

La Marseillaise, le 26 septembre 2015

Pierre Rosanvallon. « Il y a une attente de démocratie permanente »

le 24 September 2015

Pierre Rosanvallon. « Il y a une attente de démocratie permanente »

« On voit partout dans le monde des gouvernants élus légitimement qui sont loin de se comporter démocratiquement. » Pour l'historien, le débat autour de notre système politique est trop centré sur l'amélioration des élections et devrait s'ouvrir sur une meilleure organisation du contrôle du pouvoir.

Professeur au collège de France, Pierre Rosanvallon a consacré ces dernières années à un cycle de réflexion sur la crise de la démocratie.

La Marseillaise. Pourquoi pensez-vous que la démocratie est hémiplégique ?

Pierre Rosanvallon. Il y a deux dimensions dans la démocratie. La première est la légitimation de ceux qui nous représentent ou de ceux qui nous gouvernent. C’est la démocratie dont le cœur est l’élection. Toute une partie du débat sur la démocratie consiste à améliorer l’élection en rendant ceux qui sont élus plus représentatifs de la société, en évitant que ne se forme une classe politique qui prenne ses distances avec la société par la limitation du cumul des mandats, par la limitation du nombre des mandats successifs, avec des élus qui ressemblent davantage à la société par exemple dans le principe de parité ou des élus qui représentent davantage la diversité des opinions par la représentation proportionnelle… Mais l’élection donne simplement un permis de gouverner, elle ne suffit pas à définir les conditions d’exercice des pouvoirs. Or la réflexion n'a pas du tout porté sur le deuxième pied de la démocratie : l’organisation du contrôle du pouvoir. Et on voit tous les jours dans le monde entier qu’il y a des gouvernants élus légitimement au suffrage universel qui sont loin de se comporter démocratiquement. La Russie de Poutine est un exemple. Il va même jusqu’à limiter la liberté de la presse en disant que lui, il est un représentant de toute la société alors que les journalistes ne sont les représentants que d’une petite minorité. C’est aussi ce qu’on voit dans la Turquie d’Erdogan et dans un certain nombre de pays d’Amérique latine aujourd’hui. Pour faire la démocratie, il faut un comportement démocratique du pouvoir. Il faut que le pouvoir écoute la société, qu’il rende des comptes, qu’il soit responsable de ses actes, que les institutions soient transparentes, que les politiques menées soient lisibles. Qu’il y ait des formes de consultation, de délibération sur les grands sujets qui soient menées avec la société. Cela dessine un nouveau continent démocratique. Le but de mon dernier ouvrage Le bon gouvernement, est d’explorer ce nouveau continent démocratique.

La Marseillaise. C’est le manque de contrôle de l’exercice du pouvoir qui explique que près de 50% des électeurs ne se déplacent plus pour voter ?

Pierre Rosanvallon. Évidemment. La démocratie dans sa dimension électorale est intermittente alors qu’il y a une attente de démocratie permanente. Celle-ci n’existe pas parce qu’elle n’a jamais été réfléchie. Historiquement, la démocratie n’a été pensée qu’à partir de la production de la loi. On ne les concevait que comme peu nombreuses et très générales. La loi de 1905 sur la laïcité a deux articles qui font quatre lignes. Elle posait de très grands principes. Aujourd’hui la loi Macron, c’est une superposition de décisions politiques, de politiques publiques, ce ne sont pas du tout des principes généraux, puisque c’est une loi qui va même préciser les secteurs dans lesquels seront ouverts les commerces le dimanche dans les grandes villes. On est au niveau du détail. Cette démocratie centrée sur l’élection et la représentation, elle pouvait fonctionner quand l’activité parlementaire était le cœur de tout. Alors que maintenant, le pouvoir central c’est le pouvoir exécutif.

La Marseillaise. Est-ce lié à l’inversion des scrutins présidentiel et législatif ?

Pierre Rosanvallon. Pas simplement. Dans le monde moderne il faut prendre des décisions en permanence. La démocratie a été pensée aux XVIIIeme et XIXeme siècles, dans des sociétés qui évoluaient assez lentement. Il y a aujourd’hui en permanence des événements internationaux, des crises, des changements aux- quels il faut répondre. Gouverner ce n’est plus seulement gérer la continuité, c’est réagir.

La Marseillaise. Le système présidentiel français incite-t-il à la recherche d’un homme providentiel ?

Pierre Rosanvallon. Il est sûr que la France a été le pays pionnier dans le mouvement de présidentialisation, lié à l’élection au suffrage universel décidée par le référendum de 1962. Mais aujourd’hui ce modèle présidentiel s’est développé un peu partout, même dans les pays parlementaires comme l’Allemagne, la Grèce et d’autres. Dans la réalité, c’est le leader du parti au pouvoir qui est le cœur de tout. C’est Merkel, c’est Tsipras, c’est Cameron. Avant, le modèle français était vraiment une exception, maintenant il est une des variantes d’un mouvement général de présidentialisation des démocraties.

La Marseillaise. Vous prônez des outils de contrôle des gouvernements ?

Pierre Rosanvallon. Exactement. Il faut inventer un quatrième pouvoir. Il y le pouvoir exécutif, qui est central aujourd’hui. Le pouvoir législatif est diminué : les Parlements servent à valider la loi, ce n’est plus eux qui la construisent, qui décident d’en développer de nouvelles, ils sont en situation soit d’approbation, soit de refus dans le cadre de discussions et de marchandages, de ce que leur propose le pouvoir exécutif. Et bien sûr il y a le pouvoir judiciaire. A côté, il faut mettre en place un quatrième, qu’on pourrait appeler un pouvoir de contrôle et de surveillance de l’action gouvernementale. Certaines de ces fonctions sont un peu exercées par le Parlement ou des institutions comme la Cour des comptes, mais il faut les développer et les démocratiser. Il faut aussi des associations de citoyens qui soient en mesure d’exiger et de produire de la transparence pour lutter contre la corruption. Il faut d’avantage de groupes d’information, ça vaut pour la presse aussi.

La Marseillaise. Ces outils seront-ils suffisants au frein que représente la loi du marché pour la démocratie ?

Pierre Rosanvallon. Le marché n’empêche pas les institutions politiques de la démocratie de fonctionner. Le marché transforme la société dans un sens non démocratique. La démocratie n’a pas une seule définition. C’est un mode de nomination des représentants et gouvernants, le suffrage universel. C’est une façon d’assurer l’intérêt général au-delà du parti majoritaire - c’est le rôle de la justice et des Cours constitutionnelles. Mais c’est aussi une forme de société. L’idéal démocratique est de former un monde commun, une société des égaux. C’est à ce niveau là que les effets du marché, générateurs d’inégalités, doivent être considérés et pris en compte.

Propos recueillis par Marine Dasseigne (La Marseillaise, le 24 septembre 2015)

Bio express

Historien, sociologue et intellectuel, Pierre Rosanvallon est aujourd'hui professeur au Collège de France, en charge de la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique.

Théoricien et défenseur de l'autogestion, il a créé l'atelier de réflexion La république des idées, depuis décliné sur un site internet.

Depuis plusieurs années, ses ouvrages sont consacrés à l'histoire de la démocratie et à la crise qu'elle est en train de traverser. Son dernier livre, Le bon gouvernement, clôt ce cycle, avec un guide des bons usages pour la mise en œuvre d'une meilleure démocratie.

`La Marseillaise, le 24 septembre 2015

Grèce. Benjamin Coriat : « Le plan reste inique »

le 22 September 2015

Grèce. Benjamin Coriat : « Le plan reste inique »

Les commentaires de cet économiste atterré qui n’a cessé de fustiger le plan imposé à la Grèce par l’Europe. Mais le plaisir de cette victoire reste mâtiné de craintes pour l’avenir.

Membre des Économistes atterrés, Benjamin Coriat suit de près la question de la Grèce.

La Marseillaise. Vos premiers commentaires sur la victoire de Syriza ?

Benjamin Coriat. Je voudrais tout d’abord rendre hommage à Alexis Tsipras d’avoir remis en jeu son mandat après avoir été contraint de signer cet accord inique. Le mandat que lui avait donné le peuple était de lutter contre l’austérité et de rester dans l’Europe mais pour respecter l’un, il a du sacrifier l’autre. D’où son retour devant les électeurs. Quelle a été la réponse ? Qu’évidemment l’accord est catastrophique mais que les Grecs comprennent et que le maintien dans l’Europe reste une priorité : le total des voix s’opposant au maintien dans l’Europe est en effet dérisoire. Cependant je regrette qu’Union populaire ne soit pas représenté au Parlement. C’est une opposition résolue à cet accord et à l’austérité et il est dommage que cette voix perde le haut parleur que représente l’Assemblée nationale. Quant à l’Europe qui fait aujourd’hui semblant de se réjouir… Elle ne devrait pas tellement le faire. En effet, Alexis Tsipras est conforté or on sait ce qu’il pense de cet accord et il a refusé de nouer les alliances que désirait l’Union européenne, la fameuse « coalition stable », ce qui signifiait avec Nouvelle Démocratie, ou encore le Pasok et To Potami.

La Marseillaise. Vous aviez dit que François Hollande était une « victime » du 3e memorandum dans le sens où son suivisme des Allemands avait éclaté au grand jour. Il semble vouloir inverser la vapeur ?

Benjamin Coriat. Les manœuvres de récupération dont fait preuve François Hollande me laissent pantois. Il présente Syriza comme son allié naturel, or dans l’internationale socialiste, son allié est le Pasiok qui connaît une défaite gigantesque. Et quand Syriza s’opposait de toutes forces à l’accord imposé, lui travaillait à sa signature. Ce n’est que très tardivement qu’il s’est réveillé.

La Marseillaise. Un accord que vous qualifiez d’inique. Qu’est-ce que cela va donner d’un point de vue économique ?

Benjamin Coriat. C’est accord est inique d’un point de vue politique car il réintroduit des rapports de vassalité, de néocolonialisme en temps de paix. Mais il n’est pas non plus tenable économiquement parlant. Imposer à un pays endetté à 320 milliards d’euros et qui ne peut pas rembourser sa dette, un accord qui l’augmente de 86 milliards, est absurde. D’autant que les moyens proposés pour rétablir l’équilibre économique sont ceux qui ont échoué durant les cinq années qui viennent de s’écouler. Dès lors, on n’est pas éloigné d’une nouvelle crise. D’où viendra-t-elle ? De cette inefficacité ? De la volonté du gouvernement de regagner des marges de liberté, ce qui est possible car tout accord dispose toujours de zone de flou ? Toujours est-il que dans ce type de situation, je préfère que cela soit une personne comme Alexis Tsipras qui soit en place.

La Marseillaise. Il y a aussi la question de la dette. Elle figure dans le 3e memorandum mais dans des termes aussi flous que ceux formulés en 2012 et qui ont été sans effet. Comment voyez-vous l’avenir ?

Benjamin Coriat. On sait que l’Allemagne est totalement opposée à une réduction du montant de la dette mais on sait aussi que le FMI considère ce montant comme ingérable. J’ai envie de dire que la balle est désormais dans le camp de l’UE qui va avoir du mal car ils ne sont pas tous d’accord.

La Marseillaise. N’y a-t-il pas un risque de la voir faire comme précédemment : subordonner la question de la dette au premier bilan du 3e memorandum qui, forcément négatif, amènera à un nouveau plan et reportera cette question de l’endettement ?

Benjamin Coriat. Quand on voit comment l’Europe a refusé toutes négociations, qu’elle a sans arrêt menti sur la soit-disant absence de propositions grecques, qu’elle a imposé un accord insupportable… Tout est possible. Le seul espoir est qu’ils aient réalisé qu’ils ont dépassé les bornes. Des personnalités comme le philosophe Jürgen Habermas, l’ancien chancelier Helmut Schmidt ou l’ancien Ministre Joschka Fischer ont tous envoyé des messages à l’Allemagne pour dire qu’elle était allée trop loin avec la Grèce.

Entretien réalisé par (La Marseillaise, le 22 septembre 2015)

Chahla Chafiq. « La laïcité est le meilleur des remparts contre l’extrémisme »

le 19 September 2015

Chahla Chafiq. « La laïcité est le meilleur des remparts contre l’extrémisme »

L’écrivaine et sociologue d’origine iranienne participe à la marche mondiale des femmes. Elle répond à nos questions.

La Marseillaise. Quel est votre avis sur la situation des populations en Iraq ?

Chahla Chafiq. Aujourd’hui, les populations d’Iraq, les femmes en premier lieu, paient un lourd tribut. Daech est un monstre accouché dans le sang de multiples guerres (Iran-Iraq, intervention américaine) qui n’ont fait qu’aggraver les conflits sunnites/chiites, conflits auxquels ont aussi contribué les intrigues politiques de la République islamique d’Iran.

La Marseillaise. Comment voyez-vous, en tant que femme, la situation des femmes du Moyen Orient menacées par Daech ?

Chahla Chafiq. Je suis révoltée par le sort que leur réservent les tenants de cette idéologie criminelle. Au nom de dieu, Daech met en esclavage des femmes et sacralise leur viol. Je suis aussi interpellée par le fait qu’une seule raison les pousse à de tels actes : la haine des femmes parce qu’elles sont femmes. En France, c’est à travers les écrans de télévision que nous voyons ces femmes victimes de viol et rendues esclaves par Daech. Nous oublions que les extrémistes religieux vivent aussi ici et qu’ils agissent quotidiennement. Pour combattre leurs propagandes, chacune, chacun de nous doit prendre conscience des enjeux, refuser les compromis anti-humanistes et prendre sa part de responsabilité dans l’action que ce soit par l’éducation populaire, la solidarité, le débat, etc.

La Marseillaise. Quel est votre point de vue sur le sujet de la solidarité entre femmes à travers le monde ? Auriez-vous des idées personnelles pour améliorer ce point ?

Chahla Chafiq. Chacune, chacun d’entre nous a un rôle à jouer pour contrer l’avancée des extrémismes religieux et défendre les droits des femmes, partie intégrante des droits humains. Aucun être humain ne peut rester indifférent aux crimes perpétrés par les extrémistes religieux. Cependant, sans une solidarité envers les femmes, leurs premières victimes, effectives et potentielles, cette sensibilité ne mène à rien. Les rassemblements internationaux tels que ceux qu’organise la marche mondiale des femmes constituent des lieux incontournables pour concrétiser cette solidarité. C’est pourquoi je me trouve à Marseille, à leurs côtés. Dans cette résistance, la laïcité est le meilleur des remparts.

La Marseillaise. L’écriture est-elle un moyen de se défendre, un moyen de s’exprimer ?

Chahla Chafiq. L’écriture est une nécessité. Elle est un lieu de compréhension du monde et des relations humaines dans toute leur complexité, dans toutes leurs nuances. Le lieu à partir duquel on part à la recherche de soi et des autres. Mais cette rencontre unique demande des renoncements, comme d’accepter de se dépouiller des peurs et des illusions qui nous habitent. Au bout de ce chemin ardu, il est donné aux plus chanceux de trouver la joie et l’envie de changer. C’est aujourd’hui à 19h à la faculté de Saint-Charles, que débutera la marche des femmes, en direction du Vieux-Port.

Propos recueillis par Robin Bodet (La Marseillaise, le 19 septembre 2015)

Pascal Posado. La Marseille populaire avec passion

le 03 September 2015

Pascal Posado. La Marseille populaire avec passion

Le premier Maire communiste des 15-16 est une figure du mouvement syndical et politique marseillais. Sa mémoire des quartiers Nord nous est plus que jamais indispensable.

Aujourd’hui en soirée, lors de l’Assemblée de rentrée des communistes des Bouches-du-Rhône, un hommage particulier sera rendu, en sa présence, à Pascal Posado, par la diffusion d’un film consacré à sa vie et à son action syndicale et politique. Pascal Posado, premier Maire communiste de secteur en 1983 jusqu’en 1989. Son secteur, les 15e et 16e arrondissements de Marseille, ces quartiers Nord, si souvent montrés du doigt, dont, avec ses camarades les Députés François Billoux et Guy Hermier, il a cherché à changer le profil. Et souvent avec succès.

Mais avant d’être Maire, ce fils d’immigrés espagnols « économiques », comme il se définit lui-même, fut le plus jeune Conseiller municipal de la ville dès 1965, « à l’orée de l’âge légal », confie-t-il malicieusement. Une maturité politique acquise très tôt, quasiment à la sortie de l’enfance, quand il suivait sur la carte, depuis la ville de Marseille où il est né, les défaites et victoires des Républicains espagnols.

Tout faire pour rétablir l’équilibre

Le tout jeune Conseiller municipal, qui a forgé ses premières armes de résistance au sein de la Sncase, (société nationale de construction aéronautique du Sud-Est), l’entreprise ancêtre d’Eurocopter, se fixe un objectif ambitieux : « Tout faire pour contribuer à combler le fossé qui s’est creusé entre les quartiers Nord et les quartiers Sud de la ville. » Ces derniers abritant les belles propriétés et les logements de haut standing, tandis que les premiers, s’étirant le long du Port de Marseille, en extension, ne bénéficiaient d’aucun équipement collectif, sportif, culturel. « Et quant à la qualité des logements, elle est plus que médiocre. Une Marseille à deux vitesses, dont la séparation s’effectue autour de l’ossature de La Canebière. »

Cette passion des quartiers Nord lui est venue bien avant, alors qu’encore adolescent, sa famille déménage du quartier de la Villette aux Aygalades. « Du paveur qu’il était, mon père est devenu épicier. Mes liens sont donc très anciens avec ce secteur de la ville. » Conseiller municipal, c’est au rééquilibrage de la cité qu’il consacre une grande partie de son énergie. « Nous menions alors la bataille en matière d’urbanisme. D’ailleurs, j’ai tout de suite déclaré que je voulais m’occuper de ces questions-là, celles de la ville. »

Mais en 1983, devenu Maire de secteur, cette volonté de donner aux quartiers Nord un caractère décent, va prendre un tournant décisif. « Nous savions depuis longtemps que c’est seulement avec le concours des habitants que nous pourrions réellement changer la physionomie de cette partie de la ville. Il faut imaginer qu’à cette époque le réseau d’assainissement n’avait pas encore été réalisé, avec toutes les nuisances que vous pouvez imaginer. » Ainsi par exemple, ce sont les femmes du quartier de l’Estaque, avec de simples manches à balais qui ont contribué à mettre fin au passage du torpilleur, ce camion chargé de récupérer les seaux hygiéniques. « Cela avait certes commencé bien avant 1983 mais c’est à partir de cette date que nous avons pu concrétiser quelques-unes des réalisations que nous souhaitions voir aboutir. »

La force de résistance dans les quartiers ouvriers

Parmi celles-ci, l’accès aux habitants des quartiers Nord à la plage de Corbières, la création de bibliothèques à Saint-André, de la salle Alhambra à Saint-Henri. Autant de réalisations permises grâce à une municipalité d’union de la gauche. Mais aussi, au cœur des années soixante et jusqu’en soixante-dix, avec l’apogée de l’industrie marseillaise, « de la réparation navale aux huileries ». Tout tournait en effet autour du Port de Marseille dont Pascal Posado a vécu les heures de gloire, mais aussi le déclin. Fermeture des entreprises, accompagnée du départ de bon nombre de ceux qui les faisaient fonctionner vers d’autres cieux « à la recherche d’un travail », le visage des quartiers Nord ne cesse de se transformer au fil des ans. « Ce qui avait été possible, alors que fleurissaient les associations de quartiers, les sections syndicales, les clubs sportifs », impulsés par une gauche combative au plus près des citoyens, semble aujourd’hui bien loin au Maire militant Pascal Posado. « Nous étions dans une dynamique constructive, permise par cette apogée de l’industrie marseillaise et l’ancrage profond du Parti communiste au sein du paysage politique. »

Force lui est de constater que le visage des quartiers Nord d’alors, avec ses activités, ses commerces de proximité, a depuis bien changé. « Avec la crise économique, la composition sociale a évolué. Il y aurait pourtant bien des réalisations à faire qui correspondent aux besoins de ces nouvelles populations. La droitisation de la société est bien réelle, mais les résultats des dernières élections municipales ont montré que la montée du FN est due davantage à l’abstention qu’à une adhésion spontanée. Il est temps que la gauche remonte la pente. »

Gérard Lanux (La Marseillaise, le 3 septembre 2015)

Le plaidoyer de Joseph Stiglitz contre l’austérité en Europe

le 01 September 2015

Le plaidoyer de Joseph Stiglitz contre l’austérité en Europe

Économie. Le prix Nobel 2011 estime que le gouvernement français « n’a pas été capable de tenir tête à l’Allemagne » durant la crise grecque.

L’économiste Joseph Stiglitz, prix Nobel juge que la France subit une « forme d’intimidation » de l’Allemagne dans ses choix de politique économique. « Il y a une forme d’intimidation », analyse l’économiste à propos de l’influence allemande sur la politique économique menée par le Président François Hollande. Interrogé sur des déclarations de l’ancien Ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, selon lequel l’intransigeance allemande face à la Grèce aurait eu pour but d’effrayer la France et de la convaincre de suivre la voie de la rigueur, l’économiste américain a déclaré : « je le crois ».

La politique de l’offre discréditée

« Le gouvernement de centre-gauche en France n’a pas été capable de tenir tête à l’Allemagne », que ce soit sur les orientations budgétaires au niveau de la zone euro, ou dans la réponse à la crise grecque, a déclaré l’ancien chef économiste de la Banque mondiale et Conseiller du Président américain Bill Clinton. Pour Joseph Stiglitz, venu à Paris faire la promotion de la traduction en français de son dernier livre sur les inégalités (« La grande fracture », éditions Les Liens qui Libèrent), la France « est de toutes les nations du monde celle qui a le plus fortement embrassé le concept d’égalité ».

Mais, si le pays a selon lui « relativement bien réussi à contenir une hausse des inégalités pendant la crise » de 2009, il est désormais confronté à un « vrai risque » de creusement des écarts en raison de son choix de l’austérité. « Les politiques d’austérité sont au cœur de la hausse des inégalités », pour Joseph Stiglitz, qui avait reçu le Nobel en 2001 avec deux autres économistes, pour des travaux sur les imperfections des échanges d’informations sur les marchés. L’économiste a jugé que si la France affiche un important déficit public en termes nominaux, elle n’en pratique pas moins une politique d’austérité en bridant les dépenses publiques. Des dépenses qui devraient continuer à décroître pour financer les baisses d’impôts promises par François Hollande en 2016. Il a aussi critiqué cette « idée vraiment stupide, selon laquelle baisser les impôts sur les entreprises stimulerait l’économie », jugeant que cette « politique de l’offre » déjà mise en œuvre par Ronald Reagan aux États-Unis était aujourd’hui « totalement discréditée ». « Je ne comprends pas pourquoi l’Europe choisit cette voie aujourd’hui », a-t- il indiqué alors que la baisse massive des charges et des impôts des entreprises est au cœur du Pacte de responsabilité et de solidarité défendu par François Hollande. Dans son ouvrage, Joseph Stiglitz défend l’idée que « notre choix ne doit pas se faire entre la croissance et l’équité ; avec les bonnes politiques, nous pouvons choisir les deux à la fois ». En exergue de ce livre, cette phrase frappante : « Si l’on mettait 85 multimilliardaires dans un autobus, il contiendrait une fortune équivalente à celle de la moitié la plus pauvre de la population du globe ».

La Marseillaise, le 1er septembre 2015