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Je suis Charlie... un an déjà. « L'urgence d'une riposte unie et nationale »

le 07 janvier 2016

Je suis Charlie... un an déjà. « L'urgence d'une riposte unie et nationale »

Un an après les attentats contre les journalistes de Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, le gouvernement s'apprête à constitutionnaliser l'état d'urgence et la déchéance de la nationalité. « Une dérive droitière » pour l'universitaire Olivier Le Cour Grandmaison qui dénonce une réponse répressive à un problème politique et social.

La Marseillaise. L’année 2015 a-t-elle profondément bouleversé la société française ?

Olivier Le Cour Grandmaison. Je pense plutôt que cela a bouleversé les politiques mises en œuvre par le gouvernement, notamment en matière de sécurité, puisque les attentats de janvier avaient déjà fait surgir un certain nombre de discours et parfois de pratiques visant à renforcer les pouvoirs de la police et à aggraver certaines dispositions répressives. Les attentats du 13 novembre ont accentué ce qu’il faut bien qualifier de remarquable dérive droitière de ce gouvernement. Le Président de la République, le Premier Ministre et les Ministres suivis par un certain nombre de Parlementaires s’apprêtent à reprendre des propositions en matière de déchéance de la nationalité qui étaient auparavant uniquement défendues par le FN et certains membres des Républicains. De ce point de vue-là, les douze mois qui se sont écoulés depuis les attentats contre les journalistes de Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher permettent de mesurer, si je puis dire, le chemin parcouru, ou plus exactement l'involution extraordinaire de la politique de ce gouvernement en matière de sécurité.

La Marseillaise. Un gouvernement qui veut inscrire dans la Constitution l'état d’urgence…

Olivier Le Cour Grandmaison. Tout d’abord, il faut rappeler que cette gauche au pouvoir, c’est-à-dire la gauche socialiste mais là soutenue par un certain nombre de députés d’Europe Écologie Les Verts, et parfois même du Parti communiste, ont adopté et renforcé la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence dont il faut rappeler qu’elle est une loi d’origine coloniale. Il n’est pas besoin d’être un historien particulièrement affûté pour comprendre que cette loi votée en pleine guerre d’Algérie est désormais appliquée dans des circonstances qui, nonobstant les déclarations du chef de l’État et du Premier ministre sur le fait que la France serait en guerre, n’ont strictement rien à voir avec celles de 1955. Nous assistons aujourd’hui en France, à ce que j'ai appelé, il y a un certain temps déjà, un processus d’extension-banalisation de dispositions d’exception. Extension-banalisation en ce sens que plus une disposition d’exception est employée, plus elle se banalise. Plus elle se banalise, plus elle est susceptible d’être employée. Nous y sommes. Relativement à la déchéance de la nationalité, c’est un élément significatif et important. En ce qui concerne la reprise par le Président de l’ex- tension de la déchéance de la nationalité aux binationaux et l’éventualité de la déchéance pour les nationaux, il faut rappeler que des conventions internationales comme des dispositions internes condamnent le fait de rendre des nationaux apatrides. Il est tout à fait stupéfiant que certains au PS soutiennent aujourd’hui cette proposition qui est la fois politiquement extrêmement dangereuse et inspirée par des propositions dont on connaît l’origine, l’extrême droite et la droite extrême, et qui violent des dispositions européennes et nationales importantes.

La Marseillaise. A quelle période de l'histoire de France cette notion de déchéance renvoie-t-elle ?

Olivier Le Cour Grandmaison. Evidemment à la période de Vichy qui a effectivement fait un usage abondant de la déchéance de la nationalité. Y compris pour des personnalités fort connues et célébrées comme le général De Gaulle. On sait aussi qu’un certain nombre d’étrangers et de juifs d’origines étrangères, qui avaient acquis la nationalité avant l’instauration du régime de Vichy, ont été déchus de cette nationalité. Reste que comparaison n’est pas forcément raison et que le régime de Vichy n’a pas le monopole de la déchéance de la nationalité. Il n’en demeure pas moins que sur l’échiquier politique, une fois encore, la reprise de cette proposition est stupéfiante. D'autant que cette réforme constitutionnelle n’a, à proprement parler, pas été préparée puisque l'on sait que le discours prononcé par le Président de la République au Congrès et les propositions qui ont été faites ont été élaborés précipitamment au cours du week-end qui a suivi les attentats du 13 novembre. Il s’agit donc, si je puis dire, d’une sorte de bricolage politico-juridique élaboré à la hâte par le chef de l'État et quelques membres du gouvernement. Et soutenu, faut-il le rappeler, par Christiane Taubira qui cautionne ainsi ce qu’elle condamnait vigoureusement hier. Que de reniements !

La Marseillaise. Et pourtant, il a beaucoup été question de République, de drapeaux français, de Marseillaise ces dernières semaines. Que pensez-vous de cette résurgence de ces mots et de ces symboles ?

Olivier Le Cour Grandmaison. J’y vois une sorte d’incantation et de degré zéro de la politique. Le terme République est aujourd’hui devenu un slogan creux qui n’engage à strictement rien. Comme autrefois, des responsables politiques criaient « L'Europe, l'Europe ! », aujourd’hui, d'autres responsables politiques de droite et de gauche ne cessent de crier « République, République ! Laïcité ! Laïcité ! ». Et pourtant, ils n’en tirent aucune conclusion du point de vue de leur propre proposition. Cela témoigne d’une involution politique spectaculaire où désormais les mots et un certain nombre de symboles ne sont plus que des hochets que l’on agite pour tenter de faire croire que la politique que l’on met en œuvre est conforme aux principes que l’on viole au moment même où on prétend les défendre.

La Marseillaise. Que traduit cette volonté de constitutionnaliser la déchéance de nationalité ?

Olivier Le Cour Grandmaison. Cela témoigne d’une double peur. D’une part, une peur de la menace terroriste présentée comme constante et imminente de façon à justifier l’état d’urgence et le renforcement des pouvoirs de la police et de l’administration. Justifier, en d’autres termes, un état d’exception permanent qui ne dit pas son nom. D’autre part sans doute aussi d’une peur de l'opinion publique. De là ces réponses uniquement répressives aux problèmes de l’heure. Et cela est tout à fait cohérent avec la dénonciation, par un certain nombre de membres du gouvernement, de celles et ceux qui estiment que les dérives jihadistes sur le territoire français ne s’expliquent pas uniquement par la question religieuse mais sont des phénomènes complexes liés, notamment, à la déshérence des politiques publiques conduites dans les quartiers populaires. Le projet de déchéance de la nationalité en témoigne remarquablement. A ceux qui ne cessent de clamer que la République doit être respectée, il faut répondre ceci: qu’elle commence par être respectable dans les quartiers populaires où elle est incapable, depuis des années, d’être fidèle aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont supposés être les siens.

La Marseillaise. Que reste-t-il de l'esprit Charlie ?

Olivier Le Cour Grandmaison. “L’esprit Charlie” ? Des mots valises et souvent creux comme le prouve, relativement à ce gouvernement, la politique sécuritaire qu’il défend et qu’il s’apprête à renforcer. En 12 mois, nous sommes ainsi passés de ce prétendu “esprit Charlie” à un esprit de police bien réel celui-là aux effets liberticides qui sont même dénoncés en des termes virulents par le New York Times dont je n’ai pas ouï dire qu’il est un journal gauchiste. A preuve, notamment, parmi beau- coup d’autres possibles, le fait que la Ministre de la Culture « s’encanaille » en publiant une contribution dans le numéro anniversaire de Charlie Hebdo. Sans doute pense-t-elle être fidèle à “l’esprit Charlie” alors qu'elle soutient les propositions du gouvernement sur la déchéance de la nationalité. Là aussi et là encore, “l'esprit de Charlie” n’est qu’une incantation qui n'engage strictement à rien.

La Marseillaise. Au-delà du constat, quelles mobilisations mettre en œuvre ?

Olivier Le Cour Grandmaison. Sur l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité, beaucoup d’appels ont été lancés par diverses associations comme la Ligue des Droits de l'Homme, par exemple. Appels qui sont aujourd’hui signés par de très nombreuses associations et organisations syndicales. Eu égard à la gravité de la situation et à l’ampleur de l’offensive sécuritaire à laquelle nous sommes confrontés, l'urgence serait de prendre des initiatives unitaires et réunissant l'ensemble des associations, syndicats, partis et personnalités opposés à ces politiques et d’organiser des manifestations partout en France contre le maintien de l'état d’urgence et contre la déchéance de la nationalité. Force est hélas de constater que face à des enjeux aussi importants, la riposte demeure à ce jour relativement dispersée alors même qu’il faudrait, pour qu’elle puisse être forte et entendue, qu’elle soit unie et nationale.

Entretien réalisé par Sandrine Guidon (La Marseillaise du 7 janvier 2016)

Jenny Raflik-Grenouilleau. « Pas de définition internationale du terrorisme »

le 06 janvier 2016

Jenny Raflik-Grenouilleau. « Pas de définition internationale du terrorisme »

Contrant l’idée d’une internationalisation récente du terrorisme, l’historienne explique aussi la difficulté qui entoure une définition partagée du problème.

Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Cergy, Jenny Raflik-Grenouilleau est spécialiste de l’histoire des relations internationales.

La Marseillaise. Avec le djihadisme, le terrorisme est présenté comme international. Une dimension nouvelle ?

Jenny Raflik-Grenouilleau. Dès le XIXè siècle, le terrorisme anarchiste s’inscrit à l’échelle internationale, pour des raisons multiples : les anarchistes fuient la répression et connaissent souvent l’exil, et il n’est pas rare qu’ils agissent dans les pays où ils se sont réfugiés ; ils tuent sans considération de nationalité. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un réseau terroriste international au sens où on l’entend aujourd’hui. Mais c’est une première forme d’internationalisation du terrorisme. Les terrorismes nationalistes ont souvent, eux aussi, franchi les frontières. Pour trouver des refuges, des financements… Il y a d’ailleurs souvent eu des solidarités entre les groupes « nationalistes/indépendantistes » : entrainements communs, échanges d’armes, ou tout simplement protection des activistes en exil. Avec la guerre froide et les guerres de décolonisation, le terrorisme international a pris une autre forme : les solidarités se sont accrues, d’autant plus facilement que l’ennemi pouvait être commun : l’Occident. Le terrorisme s’est donc souvent exprimé à l’échelle internationale, que ce soit pour des raisons idéologiques ou des raisons pratiques, et ce bien avant l’émergence du terrorisme contemporain.

La Marseillaise. Cela suscite des réactions des États, parfois bilatérales, parfois au niveau des Nations Unies. Quelle est la bonne échelle ?

Jenny Raflik-Grenouilleau. L’échelle de la réponse dépend de l’échelle de la menace. Il n’y a pas de solution unique puisqu’il n’y a pas un mais des terrorismes, de nature et d’expression différentes. Face à une menace localisée, la réponse peut être nationale, ou bilatérale (on peut penser à la coopération franco-espagnole face à ETA). Mais face à une menace globale, à l’échelle de plusieurs continents, la réponse doit être internationale. Elle doit aussi être globale dans sa forme : dimension sécuritaire, économique, sociale doivent se compléter.

La Marseillaise. Vous soulignez l’absence de définition partagée du terrorisme ?

Jenny Raflik-Grenouilleau. La difficulté qui entoure la définition du terrorisme n’est pas nouvelle, elle non plus. C’est le point sur lequel achoppe déjà la conférence internationale contre le terrorisme anarchiste, en 1898. Les Conférences Internationales pour l’Union du Droit Pénal (1927-1934), la Société des Nations se penchent également, sans succès, sur la question. Mais de nombreuses difficultés se posent. L’utilisation du mot « terrorisme » par les nazis pour qualifier les résistants de la seconde guerre mondiale, ou par les puissances coloniales au sujet des mouvements de libérations nationales (ou déjà par l’empire tsariste pour désigner les opposants politiques), illustrent les difficultés qui entourent l’utilisation du mot. La question de l’illégalité du terrorisme s’oppose à celle de sa possible légitimité, dès lors que l’on met en avant le droit des peuples à l’autodétermination et le droit de résister à l’oppression ; droits que chaque État, chaque camp lors de la guerre froide (et ensuite), chaque groupe d’État, entend lire à sa manière, en fonction de ses intérêts du moment. Aussi, par commodité, on s’est souvent contenté d’ajuster les textes et mesures antiterroristes aux modes d’action terroristes. Suite aux détournements aériens de 1968, la Convention de La Haye de 1970 érige en infraction le détournement par la violence, et oblige les États membres à sévir contre les pirates de l’air. Les actes terroristes se diversifiant, la législation internationale suit. En 1979, la prise d’otage fait l’objet d’une convention. En 1988, deux autres sont signées : l’une sur la violence dans les aéroports civils, l’autre à propos des actes terroristes contre la navigation maritime…

La Marseillaise. Dans ce contexte, comment définit-on des listes d’organisations terroristes au niveau international : pour exemple le PKK par l’Union européenne ?

Jenny Raflik-Grenouilleau. Faute de définition juridique internationale, chaque organisation régionale élabore sa définition, qui repose sur ses intérêts et préoccupations propres. Et ces préoccupations évoluent, en fonction de l’actualité des menaces. Les listes sont alors élaborées au coup par coup. Concrètement, l’ONU, les États-Unis, la Russie ou l’Union européenne disposent de listes différentes.

La Marseillaise. Aujourd’hui, Daech ne concrétise-t-il pas un « ennemi commun » qui permettrait une définition partagée du terrorisme ?

Jenny Raflik-Grenouilleau. Si Daech est un ennemi commun, ce qui n’est peut-être pas si simple, il n’en reste pas moins que le terrorisme contemporain ne se limite pas à ce seul groupe. La Turquie redouble ses efforts contre les Kurdes, la Chine poursuit ses efforts contre les Ouighours, et ce au nom de la lutte anti-terroriste…

Entretien réalisé par Angélique Schaller (La Marseillaise du 6 janvier 2016)

Mohamed Itrisso. De Madagascar aux quartiers Nord

le 31 décembre 2015

Mohamed Itrisso. De Madagascar aux quartiers Nord

Militant communiste d’origine comorienne, ce quadragénaire aux allures de jeune homme a figuré sur les listes du Front de gauche lors des trois derniers scrutins marseillais.

Des flaques de sang devant une école française de Tananarive. Une image trop tôt, beaucoup trop tôt gravée dans la mémoire d’un enfant de six ans, En 1976, Madagascar, quinze ans après la proclamation d’indépendance de l’île, s’embrase à nouveau avec l’expulsion des derniers militaires français. « La couleur du sang, des voitures et des camions renversés et brûlés », se souvient Mohamed Itrisso, citoyen marseillais d’origine comorienne et de confession musulmane. « Peut-être, sans le savoir alors, le début de la prise de conscience de ce que pouvait être la violence, l’injustice ».

Aujourd’hui, Mohamed Itrisso a quarante ans et est un militant communiste des quartiers nord de la cité phocéenne, là où le Front national a pointé son mufle de taureau à la fenêtre de la Mairie en 2014. Et même un peu plus que militant, puisqu’il fut aussi colistier des têtes de liste Front de gauche aux élections municipales, départementales puis régionales. Un bien long parcours depuis ses sept ans où il pose la première fois ses pieds d’enfant sur la terre marseillaise. « C’est Giscard qui avait donné son aval pour notre rapatriement, mais Mitterand avait pris sa place lorsque nous sommes arrivés. A la Joliette d’abord, pour quelques mois, avant de nous en aller vers les quartiers Nord, ma mère et les neuf enfants de notre fratrie ».

La formidable solidarité des habitants

De l’accueil reçu par cette famille musulmane de la part des Marseillais, Mohamed parle avec mesure. « On nous regardait un peu comme des bêtes curieuses parce que nous parlions mal le français -il y avait peu de Comoriens à cette époque- mais nous avons découvert aussi la formidable solidarité dont sont capables les habitants de ces quartiers ». Enfant doué élevé par son grand père qui pensait que « rien ne doit être acquis mais tout se mériter et qui avait un formidable sens du partage », Mohamed Itrisso trouve auprès de ses professeurs soutien et reconnaissance de ses efforts scolaires, son réel appétit pour le français et l’histoire. « Alors j’ai vécu comme une injustice le fait d’être orienté vers une filière de brevet professionnel en mécanique. C’est vrai, je reconnais que j’étais un peu turbulent, j’avais l’habitude de me dresser contre les préjugés et les injustices, mais de là à m’écarter d’un cycle d’enseignement classique… »

Ce n’est donc pas dans les mille et un mystère de la mécanique que Mohamed Itrisso trouvera son salut.

Mais dans le foot. « Ce qui m’a évité l’infernale spirale des autres adolescents que je fréquentais. J’y ai appris le sens des valeurs humaines, de l’entraide ». Des valeurs qu’il met réellement en pratique au début des années 90, lorsqu’il suit son frère aîné aux Jeunesses communistes. « J’y ai fait des rencontres décisives et engrangé une connaissance dont je n’avais même pas idée. Plus tard, lors d’un congrès des JC à Paris, j’ai pu faire la connaissance de Marie-Georges Buffet, qui était alors Ministre communiste de la Jeunesse et des sports. Un déclic ». Et suite logique, il adhère au Parti communiste. « Mais c’est réellement en 2011 que j’a mené une vraie vie de militant ». Avant qu’en 2014, Mohamed Itrisso ne devienne le colistier de Samy Joshua, tête de liste aux municipales. Puis aux départementales, dans la 7e circonscription aux côtés de Karima Berriche. Et enfin aux Régionales aux côtés de Jean-Marc Coppola et Sophie Camard. « On apprend très vite que ce n’est pas aussi facile que çà d’être candidat et que cela implique des responsabilités morales, la nécessité d’une cohérence, la recherche d’un équilibre entre les militants de terrain et les instances des partis ».

Le nécessaire sursaut citoyen

Ravier aux commandes des 13-14, cela a été pour lui un souvenir douloureux, « celui de l’assassinat de Ibrahim Ali ». Mais à l’annonce des résultats, les militants progressistes ont réagi assez rapidement. « L’émergence d’un collectif de vigilance contre leurs agissements a été quasi-immédiat. Lors du 1er Conseil d’arrondissement, nous étions déjà là. Prêts à résister. Nous ne pouvons concevoir de laisser un secteur aussi grand aux mains de ce personnage ». Ces militants là savent bien que la population des quartiers Nord a été délaissée, qu’ils éprouvent un dégoût certain de la vie politique. « A nous de leur dire qu’ils seront les premiers à payer les pots cassés, parce qu’ils ont choisi de ne pas aller voter. Aujourd’hui, certains d’entre eux commencent à réaliser et à se mordre les doigts de leur passivité. Il y a des familles qui se dirigent vers la mairie des 15-16 pour essayer de trouver un autre logement. Mais cela ne suffira pas, il faut un vrai sursaut citoyen pour remonter la pente, faire revivre la politique dans les quartiers. La reconquête de ceux-ci est à ce prix ».

De Madagascar aux quartiers Nord, le regard de Mohamed Itrisso n’a rien perdu de son acuité.

Gérard Lanux (La Marseillaise du 31 décembre 2015)

La mémoire d’Ibrahim Ali pour accompagner sa révolte

Il n’y a pas que le sang sur les trottoirs de Tananarive qui ont marqué à vie Mohamed Itrisso. Il y a eu aussi celui d’Ibrahim Ali, jeune Comorien de 18 ans froidement assassiné par des colleurs d’affiche du Front national en 1995. « S’il se penche à la fenêtre de sa Mairie, Ravier peut presqu’apercevoir l’endroit même où il est tombé, à une centaine de mètres de là ». Pour Mohamed Itrisso, il y a deux formes dans la violence des racistes. « Il y a ceux qui se contentent des mots et les autres qui passent aux actes. Entre les deux attitudes, le pas est vite franchi. Ibrahim Ali est là pour que nous ne l’oublions pas ».

Gérard Lanux (La Marseillaise du 31 décembre 2015)

Corse. « L’habituel cliché du "Toi, je te connais" »

le 29 décembre 2015

Corse. « L’habituel cliché du

Les derniers événements en Corse ont engendré un retour à la défiance contre les Corses eux-mêmes. Au moment où ils ont le plus besoin du soutien de la République. Ils le disent.

Après les dernières élections régionales, la Corse était revenue aux « Unes » des journaux de la presse hexagonale par la grande porte de l’expression démocratique. L’île, dans toute sa splendeur et forte d’une quiétude particulière, se démarquait avec bonheur d’un débat politique pollué par les attentats de Paris et leur exploitation sans vergogne par le Front national en franchissant l’obstacle de la plus belle des manières.

Tableau déchiré

A quelques tours d’hélice de Nice, Toulon ou Marseille, le FN n’y a récolté « que » 10% des voix et la liste des « divers gauche » s’est portée devant celle des « divers droite ». Ceci donnait assurément une couleur politique un peu plus gaie sur les côtes insulaires que sur les rivages Est de notre territoire continental méditerranéen. Mais les événements du week-end dernier sont venus comme pour déchirer le tableau, en tout cas dans les commentaires. Une caserne de pompiers attaquée par quelques voyous pour l’instant non identifiés, puis une action de « représailles » aux relents racistes des plus nauséabonds auront en quelques heures renvoyé la Corse au rang de territoire plus ou moins douteux, vilain petit canard de la République.

Bien évidemment, le Premier Ministre Manuel Valls ou son Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve ne pouvaient faire autrement que de condamner, comme on dit « avec la plus grande virulence » des actes assurément racistes commis contre des lieux musulmans.

Mais au fond, n’en ont-il pas pris l’habitude depuis un moment sur le territoire hexagonal ?

En vérité, les Corses ont non seulement été choqués par les mêmes exactions racistes commises cette fois sur leur sol, mais encore ont-ils ressenti le souffle d’une autre forme de xénophobie, ancienne et tenace, celle du sentiment « anti-corse ».

Comment ne le ressentiraient-ils pas quand une personnalité de droite, Eric Ciotti, Député du 06 et Secrétaire général Adjoint du parti de Nicolas Sarkozy, juge que les événements du week-end constituent « une nouvelle illustration du délitement de l’autorité républicaine, une réponse particulièrement préoccupante à l’absence de réponse de l’État régalien » ? Comment ne le ressentiraient-ils pas lorsqu’un confrère de la presse régionale du Sud-Ouest balance que « de tels débordements ne pouvaient pas se produire ailleurs » et qu’ils étaient « une occasion de surfer sur une colère de nature très insulaire, en ce sens où la"vendetta" y est une loi au-dessus de toutes les autres  » ?

Les progressistes de l’île tentent pourtant d’expliquer que la Corse est tout le contraire de cette terre sans foi ni loi que l’on essaie une fois encore de ressortir des vieux tiroirs. Dans les colonnes de l’Humanité, lundi, Dominique Bucchini, l’ancien Président communiste de l’Assemblée corse et toujours élu au sein de la nouvelle après les dernières élections, mettait les choses au point : « S’il y a quelques individus qui méritent d’être traduits devant la justice, il faut encore laisser la police avoir le temps et les moyens de les retrouver ». Puis appelait au calme alors « qu’apparaissent certains amalgames qui ne sont pas de mise ».

L’homme ajoutait : « Notre histoire le prouve, en particulier lorsque les Tirailleurs marocains sont venus en 1943 pour nous tirer d’affaire contre le fascisme. Il existe tout un pan de l’histoire de la Corse qui montre que la notion d’accueil est ancrée dans notre tradition. Bon nombre de travailleurs immigrés sont arrivés en Corse et mènent depuis une vie calme. Qu’ils croient en Dieu ou pas, le problème n’est pas là… »

Pour La Marseillaise, hier, c’est Jean-François Bernardini, chanteur célèbre du groupe I Muvrini mais aussi fondateur de l’association Umani, qui plaide depuis longtemps pour la non-violence dans l’île, qui nous exprime sa conviction : « Les derniers événements nous blessent et nous convoquent plus encore à agir avec discernement. C’est tout à l'honneur de la Corse -pourtant tellement endommagée dans ses lignes de force- de constater que ce qui est malheureusement devenu banal ailleurs en Europe, est encore à un seuil plus bas chez nous, mais nous indigne profondément, jusque dans nos entrailles. »

« Aujourd’hui, un bouton rouge s’allume, ajoute-t-il, c’est bien la première fois que nous assistons à un caillassage de pompiers dans un quartier de nos villes et une réaction aussi triste et inacceptable de quelques dizaines d’individus qui croient avoir trouvé un "ennemi à leur portée", tandis que le vrai ennemi prospère en chacun de nous, et autour de nous. » Et de poser la question : « A qui profite le rebondissement des clichés habituels sur la Corse ? Autant vous dire que les clichés font justement partie intégrante du problème, tant il est vrai que la Corse connaît bien ces "raclées coutumières" qui nous en apprennent bien plus sur leurs auteurs que sur la réalité insulaire. A dédouaner les bonnes consciences, à généraliser, mieux diviser, séparer et surtout nous condamner à l’ignorance perpétuelle. C’est l'habituel "toi je te connais", activé par les conformistes du cliché, dans une vision ringarde de la Corse que les citoyens français, qui cherchent du sens, démentent largement chaque jour. »

Jean-François Bernardini ne pense pas en abrégé : « L’immense majorité de la population vit et veut vivre ensemble, malgré 60.000 résidents insulaires -20% de la population- en situation de précarité. Nos frères musulmans font partie intégrante de notre communauté de destin. Mais la Corse est souvent prise au pied de la lettre. Il suffit de lire un "Arabi fora - Arabes dehors" sur un mur, pour en déduire que "les Corses" sont racistes. Ce genre de raccourci n’est recevable ni ici, ni ailleurs. »

Il finit par ses mots d’artiste : « Aujourd’hui, chez nous comme ailleurs, il y a des peurs, des haines qui ont besoin de secours et qui attendent que nous les secourions. Le vrai problème est le même partout. C’est la violence. Elle est l’unique et seul outil dont l’homme croit disposer quand il entre en conflit. Il ne dispose que d’un marteau. Sa tentation est donc de transformer tous les problèmes en clous ! ».

Décryptage Claude Gauthier (La Marseillaise du 29 décembre 2015)

Roger Martelli. « La crise du système oblige à une rupture »

le 19 décembre 2015

Roger Martelli. « La crise du système oblige à une rupture »

Roger Martelli, historien et codirecteur de la rédaction du mensuel « Regards ».

Hasard du calendrier, il y a cinquante ans, le Général De Gaulle était élu Président de la République au suffrage universel. Une première sous la Ve République qui conduira à la bipolarisation de la vie politique française et à un renforcement du caractère présidentiel du régime. Un système institutionnel aujourd'hui en crise qui, pour l'historien Roger Martelli, appelle à une rupture.

La Marseillaise. En quoi l'élection du Général De Gaulle au suffrage universel le 19 décembre 1965 a-t-elle marqué un tournant dans l'histoire républicaine française ?

Roger Martelli. C'est une rupture avec ce que l'on appelle la tradition républicaine depuis le milieu du XIXe siècle. Et d'ailleurs le général de Gaulle en était parfaitement conscient en 1958 lorsqu’il met en place les institutions de la Ve République. C'est pourquoi il fait un compromis avec les socialistes et une partie de la droite traditionnelle qui avaient décidé de soutenir l'entrée en Ve République à la condition de ne pas élire le Président au suffrage universel. Et c’est seulement en 1962, à l'issue du conflit algérien, que le général de Gaulle, se sentant d'une légitimité suffisante, engage la réforme constitutionnelle. Réforme qui aboutit par référendum à modifier la Constitution et introduit l'élection du Président de la République au suffrage universel. C'est donc de ce point de vue une rupture. Le monde politique à l'époque en est conscient. Le Parti communiste mais aussi le Parti socialiste, une partie de la droite classique de ce que l'on appelait à l'époque les MRP, et une fraction de la droite parlementaire y sont d'ailleurs opposés. Mais on ne voit pas à l’époque le fait que le général de Gaulle établit un principe électoral selon lequel au second tour il ne peut y avoir que deux candidats puisque le Président doit être investi par une majorité du corps électoral. Or cette règle du scrutin va conduire à favoriser la bipolarisation de la vie politique française et à un renforcement du caractère présidentiel du régime.

La Marseillaise. Comment la fonction présidentielle a-t-elle été investie durant ces cinquante dernières années ?

Roger Martelli. L'histoire montre qu’il y a une logique institutionnelle qui tend à structurer l'ensemble des comportements. Le cas de François Mitterrand est le plus significatif. A l’époque, il est l’un des rares de la gauche non communiste à s'opposer à la mise en place des institutions. Mais une fois au pouvoir, il intériorise le système institutionnel. Il l'utilise politiquement pour développer une logique de rassemblement au centre. Partant de l'idée que pour avoir une majorité, il faut non seulement rassembler les siens mais conquérir une partie du camp adversaire. Il l’exprime d’ailleurs dans sa lettre aux Français qui précède l'élection présidentielle de 1988 dans laquelle il appelle ouvertement à dépasser le clivage gauche-droite pour aller vers un rassemblement au centre. Cette intériorisation par la gauche socialiste au pouvoir des institutions de la Ve République aboutit à la cohérence dite sociale-libérale largement inspirée du modèle britannique de Tony Blair des années 90.

La Marseillaise. Qu'en est-il de François Hollande ?

Roger Martelli. Le problème de François Hollande est qu’il joue le jeu des institutions dans une période où celles-ci révèlent leur crise profonde. Au moment de leur mise en place, nous sommes dans une période plutôt d'augmentation de la participation citoyenne aux élections qui s'exprime notamment dans les catégories populaires. Or depuis une trentaine d'années, un mouvement inverse s'est installé. Aujourd'hui, la moitié des électeurs se détourne du vote et plus généralement des institutions avec la méfiance et la crise du politique. François Hollande a considéré que dans ce cadre, face à une droite elle-même fortement perturbée par la montée du FN, il n' y avait pas d'autres solutions que d'intérioriser les règles économiques et sociales de la mondialisation et d'essayer d'aller vers un rassemblement qui dépasse de fait les frontières de la gauche et de la droite. Un rassemblement autour des règles de la concurrence assorti par ce que Tony Blair appelait l'ordre juste, c’est-à-dire la combinaison d'une logique concurrentielle et des principes d'autorité. Il a décidé au fond de s'appuyer sur le système institutionnel pour justifier une stratégie qui tourne le dos à la tradition et aux valeurs de gauche.

La Marseillaise. Cela veut dire qu'il faut revenir sur les institutions elles-mêmes ?

Roger Martelli. Ces institutions portent les défauts d’une logique de concentration des pouvoirs. Et plus on concentre le pouvoir, plus on décourage le citoyen de la possibilité d'intervenir sauf lorsqu’il s'agit de désigner le chef de l’exécutif. Mais aujourd’hui, la crise profonde du système institutionnel oblige à une rupture. Et donc à penser un processus qui verra une nouvelle république.

La Marseillaise. Justement vous avez signé l’appel lancé par Jean-Luc Mélenchon à une VIe République.

Roger Martelli. Effectivement. Je pense que l'exigence de la rupture constitutionnelle est fondamentale. C’est une exigence que porte la gauche de la gauche. La manière de passer d'une république à une autre doit être franchement nouvelle. Le texte de la Constitution de la Ve République a été élaboré par un petit groupe de juristes et de professionnels sous la direction de Michel Debré. Texte qui a été ensuite soumis à l'approbation populaire. Il faut procéder en sens inverse. Un processus constituant signifie qu’avant de rédiger une constitution, il faut un vaste débat sur ce que doivent être ses fondements juridiques, économiques et sociaux. Et sur la base de ce débat citoyen, il faut désigner une assemblée constituante chargée d'élaborer le texte constitutionnel qui devra être soumis l'approbation du peuple souverain. Dans ce moment de crise politique, la manière de rompre avec les institutions actuelles et d’en élaborer de nouvelles est fondamentale.

La Marseillaise. Dans cette nouvelle république, comment pourraient être prises les décisions de frapper la Syrie et de déclencher l'état d'urgence ?

Roger Martelli. D'abord je pense que ces mesures sont mauvaises… Mais en l'occurrence vous avez raison de poser la question sous l'aspect « qui décide ? ». Selon moi, cette VIe République s'inscrit dans une suite mais à certains égards, elle pourra être la première république d'un type nouveau. Une république qui repose moins sur la concentration des pouvoirs et sur la représentation que sur l'implication citoyenne directe. Notamment dans le cas d'une situation comme celle-ci, le premier mot devrait revenir non pas à l'exécutif mais à la représentation parlementaire. Et celle-ci devrait s'assurer dans ces moments de crise intense de solliciter le plus rapidement par toutes les voies que rendent possibles les communications modernes un vrai débat national. Au lieu de jouer sur des réflexes de sidération qui conduisent à déléguer à l'exécutif les responsabilités essentielles de la nation et de fait à dessaisir la souveraineté populaire. De ce point de vue, il est fondamental de revenir au point de départ de notre tradition démocratique. Celle de 1789 : la souveraineté appartient à la nation, c'est- à-dire à l'ensemble des citoyens. Le peuple dans toutes ses dimensions en intégrant sa diversité mais en même temps en ayant le souci de donner forme concrète à cette souveraineté populaire. Je pense aussi bien à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale. C’est justement parce que l’on a tourné le dos à la souveraineté populaire que l’on se retrouve dans cette situation de désordre et d’incertitudes.

Propos recueillis par Sandrine Guidon (La Marseillaise, le 19 décembre 2015)

Gilles Ivaldi. « Les partis doivent repenser leurs pratiques politiques »

le 15 décembre 2015

Gilles Ivaldi. « Les partis doivent repenser leurs pratiques politiques »

Gilles Ivaldi, chercheur CNRS à l’Université de Nice. Il a collaboré au livre collectif « Les faux semblants du Front national » paru aux éditions Presses sciences po. « Le jeu politique français est très bouleversé depuis 2012 »

Au-delà des résultats et du constat, il y a les perspectives. Dont celles de 2017 qui se dessinent déjà. Leadership, ligne politique, alliances... Gilles Ivaldi, professeur chercheur à l'Université de Nice, décrypte les enjeux de l'après-scrutin posés à l'ensemble des partis politiques.

La Marseillaise. Comment analysez-vous les résultats en Paca ?

Gilles Ivaldi. Ce qui s'est passé en Paca corrobore ce que l'on a vu au niveau national. Il y a une difficulté pour le FN à se projeter dans le 2e tour. On peut également faire le lien avec la Région Nord-Pas-de-Calais-Picardie puisque le Front républicain a fonctionné malgré toutes les incertitudes. La mobilisation s'est traduite dans les urnes. Cette participation a nourri pour une faible proportion le FN puisque celui-ci progresse entre les deux tours. Mais c'est avant tout une mobilisation très nette anti-FN.

La Marseillaise. Cependant comme vous le rappelez, le FN progresse…

Gilles Ivaldi. Il faut effectivement être très prudent. Cette défaite est une défaite presque institutionnelle. Une défaite de crédibilité qui montre que le FN n'a pas ce profil de parti de gouvernement, de parti crédible et gestionnaire. Maintenant, on voit qu'il progresse. Il réalise son meilleur score jamais obtenu avec plus de 6,8 millions de voix au niveau national. En Paca, Marion Maréchal-Le Pen gagne près de 160 000 voix entre les deux tours. La dynamique électorale existe. Le FN mobilise sur son programme le plus radical dans un contexte très porteur. Mais cela n'est pas suffisant. Le FN manque de crédibilité pour élargir et convaincre qu'il peut être autre chose qu'un parti anti-système.

La Marseillaise. Les Républicains ont remporté sept Régions. Une vraie victoire ?

Gilles Ivaldi. Dans le sens où leur résultat est meilleur que celui de 2010. Globalement, c'est une victoire très en demi-teinte, sans triomphalisme, mais une victoire quand même. Les vraies questions sont celles de la ligne politique à adopter face au FN et celle du leadership.

La Marseillaise. Entre l'éviction de Nathalie Kosciusko-Morizet et les déclarations de Valérie Pécresse, peut-on dire que la crise est ouverte au sein du parti majoritaire de l'opposition ?

Gilles Ivaldi. Je ne le pense pas, du moins en termes de stratégie. Nathalie Kosciusko-Morizet et Valérie Pécresse représentent un courant politique dans une Région comme l'Ile-de- France où le FN reste très peu présent. Et cela colore un peu leur vision stratégique aussi. Par ailleurs, les Républicains savent que selon toute probabilité en 2017, se des- sine un duel droite-FN, si Marine Le Pen passe le 1er tour. Je ne pense pas que la stratégie vis-à-vis du FN, celle du ni-ni, soit remise en cause. D'autant plus qu'il y avait une assez large majorité au sein du bureau politique de lundi dernier pour voter la poursuite de cette stratégie. Les débats vont exister mais ils seront centrés sur la ligne politique. Comment se positionner ? Quid de l'alliance avec les centristes ? Quel leadership alors que celui de Nicolas Sarkozy est égratigné ? Un Nicolas Sarkozy qui ne s'impose pas comme un leader incontesté et incontestable. Comment accélérer le calendrier pour avoir assez rapidement un candidat présidentiel avec un programme ?

La Marseillaise. On dit que le PS a « sauvé les meubles » avec cinq Régions…

Gilles Ivaldi. Le PS a tout de même montré sa capacité à remobiliser sur des enjeux importants. Il faut rappeler qu'on a vu un électorat vraiment très démobilisé aux Européennes de 2014 et aux Départementales en mars dernier. Alors il est vrai que les forces de gauche ont fait barrage au FN. Ce qui n'est pas du même ordre qu'une mobilisation plus enthousiaste et plus politique. Le PS sort moins endommagé que ce que l'on avait pu prédire. Mais là aussi, la question de la stratégie pour 2017 est posée. Et il faudra prendre en compte deux éléments. Le front économique d'abord puisque très vite l'emploi et la précarité vont revenir dans l'agenda politique. Le PS devra donc avoir des résultats avant 2017. Et puis, il y a la fragmentation à gauche. Ces Régionales ont montré que le Front de gauche et les écologistes ont été à la peine. Or, pour la gauche en 2017, sa capacité à éviter l'éparpillement sera très importante notamment si le FN se confirme à un niveau très élevé. Le seuil pour atteindre le 2e tour de la Présidentielle va être très élevé. Toutes les forces politiques auront donc intérêt à être le plus unies. A droite, cela veut dire reconduire probablement l'alliance de la droite et du centre.

La Marseillaise. Que retiendra-t-on de cette séquence politique ?

Gilles Ivaldi. La dynamique du FN. Le parti frontiste est implanté dans le système politique français. Il est en train de tisser sa toile. Dès cette semaine, il va avoir un nombre important d'élus dans les Conseils régionaux. On retiendra qu'au final le résultat est assez logique. La gauche au gouvernement perd des Régions. Elle est donc sanctionnée par une victoire de la droite. Et puis pour 2017, on voit bien que l'on retombe sur la même problématique. Un jeu à trois forces politiques qui sont potentiellement de même taille dans un système majoritaire qui fait que seules deux d'entre elles pourront sortir gagnantes pour le second tour. La droite et la gauche devront travailler sur leur stratégie. De la même façon que l'enjeu pour Marine Le Pen sera de sortir de sa niche radicale. D'ailleurs, dès dimanche soir, elle a évoqué ses comités bleu marine. Elle a compris qu'elle devait ouvrir son parti et faire des alliances. Alors le FN reste très fort mais il reste isolé et plus que jamais il a besoin de créer une dynamique de rassemblement.

La Marseillaise. Sommes-nous entrés dans une période de rupture ?

Gilles Ivaldi. Le jeu politique français est très boule- versé. Depuis 2012, on est sur une séquence électorale où le paysage se redéfinit sur trois grand blocs : la gauche, la droite et le FN. Mais, il faut garder aussi à l'esprit que depuis, on est sur des élections intermédiaires. Des élections qui nous donnent des indications sur les rapports de forces mais pour lesquelles il y a très peu de participation. Et puis, on est encore loin de l'échéance de 2017. Juste un rappel : aux Cantonales de 2011, Marine Le Pen était à 24% dans les sondages. Au final, elle a obtenu 18% au premier tour de la Présidentielle.

La Marseillaise. Une nouvelle fois, les partis ne sont-ils pas appelés à revoir leur pratique ?

Gilles Ivaldi. C'est tout l'enjeu. Depuis trente ans, à chaque élection où le FN fait un score important, on nous dit c'est une invitation à sortir de la langue de bois, à avoir des résultats, à faire attention aux promesses non tenues. Mais en sont-ils capables ? Et la réponse est malheureusement probablement pas. On est en France dans une culture politique bien établie. On l'a d'ailleurs vu récemment après les attentats. Il y a eu des comportements à l'Assemblée nationale qui étaient pour le moins critiquables. A chaque coup de semonce, les partis sont invités à repenser effectivement leur pratique politique. Mais au final je suis assez sceptique sur leur capacité à changer. Mais d'un point de vue stratégique, il y a clairement une remise en cause. Si le PS veut réunir, il devra donner des gages à son aile gauche et à la gauche radicale. Cela peut passer par un remaniement, un changement d'équipes, une initiative forte. Il y a une nécessité pour le PS, critiqué pour son virage social-libéral de se ré-ancrer à gauche. Et au sein des Républicains, Nicolas Sarkozy qui incarne un combat passé, est-il le mieux placé pour incarner cette droite renouvelée et capable de lutter contre le FN ?

Entretien réalisé par Sandrine Guidon (La Marseillaise, le 15 décembre 2015)

Olivier Py. « Ne pas entrouvrir la porte »

le 12 décembre 2015

Olivier Py. « Ne pas entrouvrir la porte »

Le directeur du Festival d’Avignon lance un nouvel appel à faire barrage à l’extrême droite demain. Lui, l’homme de gauche, ira voter Christian Estrosi.

Ses appels à lutter contre le Front national à travers l’action culturelle sont connus. Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, avait même menacé de quitter la Cité des Papes si, en 2014, l’extrême droite avait ravi la ville. Cette bataille-là avait été gagnée. Une autre reste à mener d’ici demain. Homme de gauche, il appelle toutefois à voter Christian Estrosi demain. Avec au moins une détermination intacte à ne pas laisser l’extrême droite diriger une collectivité territoriale. Entretien.

La Marseillaise. Comment le directeur du Festival d’Avignon, qui a consacré l’édition 2015 à « L’Autre », a-t-il réagi dimanche soir à l’annonce des résultats du 1er tour des élections régionales ?

Olivier Py. Comme beaucoup de Français, je me suis demandé comment nous en étions arrivés là ! Les causes sont profondes. C’est au-delà de ce que je pouvais imaginer. Les Français ne se rendent pas compte de la machine qu’ils sont en train de mettre en route uniquement en mettant un bulletin de vote avec le nom d’un membre de la famille Le Pen inscrit dessus.

La Marseillaise. Selon vous, aujourd’hui, quelle est la priorité, l’urgence ?

Olivier Py. Pour la région Provence-Alpes- Côte d’Azur, le message est très simple selon moi : il y a une seule chose à faire c’est voter Christian Estrosi. Même si, comme moi, on est une personne de gauche.

La Marseillaise. Aux municipales de 2014, alors que le Front national menaçait de ravir la ville d’Avignon, vous vous étiez engagé en évoquant l’idée que le Festival quitte la Cité des Papes. Peine perdue ?

Olivier Py. Ce n’est pas tout à fait la même chose qu’aux municipales. Quand j’ai dit non au FN, pas de compromis, ni de compromission, je me suis un peu retrouvé seul… Depuis, il y a eu en plus les élections départementales où le FN a réalisé une autre poussée. Alors oui, un temps, Nicolas Sarkozy a réussi à canaliser des voix pour lui. Mais aujourd’hui, les partis politiques semblent affaiblis. Ils ont une responsabilité dans cette crise, cet effondrement. Sans parler des conséquences des attentats du 13 novembre.

La Marseillaise. La question peut sembler banale. Mais que peut la culture dans une telle situation ?

Olivier Py. La culture peut. Mais la culture ne peut pas tout. Je considère que la culture et l’éducation national doivent donner une réponse. Alors certes, cela n’empêchera pas des fous de prendre des mitraillettes pour tuer des gens. Mais ce sera déjà une réponse donnée, si la culture et l’éducation s’engagent. Selon moi, cette poussée de l’ex- trême droite n’est pas seulement due aux attentats du 13 novembre à Paris. Cela correspond à 30 ans d’abêtissement des années télé-réalité.

La Marseillaise. Une victoire de l’extrême droite dimanche porterait-elle un sérieux coup au secteur culturel ?

Olivier Py. Oui. Pas uniquement à la culture d’ailleurs. J’entends parfois dire : essayons-les 5 ans et on verra plus tard. Je dis non, non, non ! Il ne faut pas ouvrir, même entrouvrir la porte au Front national. C’est tellement facile de détruire une institution et si lent, ensuite, à la reconstruire. Je suis certain qu’une grande partie de la culture ne s’en remettrait pas. Ce serait comme un arrêt de mort. Je ne veux, en aucun cas, prendre la responsabilité d’une telle situation, comme certains le font avec le bulletin blanc, ce qui ne servirait pas. Dimanche il faut convaincre l’électorat de gauche. Au soir du premier tour, Christian Estrosi a donné quelques garanties et a eu des mots assez durs contre le Front national. J’estime qu’il a été clair en disant qu’il n’incarnera pas une porosité de la droite vers le FN.

Propos recueillis par Sébastien Madau (La Marseillaise, le 12 décembre 2015)

Joël Martine. « Avoir le dernier mot pour préparer la suite »

le 12 décembre 2015

Joël Martine. « Avoir le dernier mot pour préparer la suite »

Militant de la Coalition climat Marseille, il est monté à Paris avec une quinzaine d’autres personnes pour participer aux manifestations prévues aujourd’hui.

Si des Marseillais sont déjà à Paris, participant à toutes les actions mises en place par la coalition 21 en parallèle de la COP d’autres membres ont bénéficié des 20 places réservées pour Marseille dans les billets collectifs mis en place par les Amis de la Terre pour rejoindre hier la capitale. Entretien avec un des militants, Joël Martine.

La Marseillaise. Pourquoi allez-vous manifester aujourd’hui ?

Joël Martine. Pour l’heure, le bilan est qu’il ne semble pas y avoir d’engagement à la hauteur, pas de mécanisme contraignant pour les États, rien contre les multinationales, rien pour diminuer de façon drastique l’extraction d’énergie fossile… En fait, cette COP s’est contentée de discuter du niveau de diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES) mais n’a pas abordé la manière dont les diminuer à la source et notamment extractive. Si le 29 novembre, nous avions dit avant l’ouverture de la COP ce que nous en attendions, il s’agit aujourd’hui d’avoir le dernier mot pour préparer la suite avec la société civile face aux blocages des gouvernements et des entreprises.

La Marseillaise. Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’opinion ?

Joël Martine. La conscience du problème a clairement progressé depuis Copenhague et les climato-sceptiques sont désormais déconsidérés. De plus en plus de gens ont désormais compris que des événements sont d’ores et déjà liés au réchauffement climatique, avec les exemples typiques des inondations sur le littoral méditerranéen, d’autant plus graves qu’il est totalement bétonné.

La Marseillaise. Et parmi les militants ?

Joël Martine. Il y a, depuis un an, des avancées considérables. De nombreuses initiatives ont montré que la société civile avait des solutions. De plus, et c’est complémentaire, un objectif est désormais partagé par l’ensemble du mouvement : la nécessité de s’attaquer aux causes et notamment dans l’organisation capitaliste de la production. Car si chacun a une part de responsabilité et doit agir, il faut arrêter avec la formule responsabilisant tout le monde : il y a des coupables et ils doivent être désignés. Les campagnes de désinvestissement du fossile, de lutte contre les paradis fiscaux... étaient jusque là des thèmes portés par quelques associations et qui sont désormais largement partagés.

La Marseillaise. N’y a t-il pas aussi une évolution chez les militants syndicaux ?

Joël Martine. Si cela ne ressent pas encore dans les mobilisations en terme de masse, on voit effectivement une prise de conscience au niveau des organisations syndicales avec des centrales qui, effectivement, réfléchissent désormais sur une transition socialement juste, sur l’évolution du modèle industriel.

Entretien réalisé par Angélique Schaller (La Marseillaise, le 12 décembre 2015)

La dignité est le bien commun du nous. Article de Jacques Broda

le 11 décembre 2015

La dignité est le bien commun du nous. Article de Jacques Broda

L'humilité est un "sas" d'entrée entre le Moi et le Moi profond. L'humilité du pauvre accepte la condition dans la dignité, le manque, qui n'est pas un manque à être mais un manque à posséder. Le pauvre ne confond pas "l'être" et "l'avoir", il sait que la vie vaut plus que tout, et celle de ses enfants. Il sait, le tout n'est pas possession mais allocation ! Au sens d'être locataire, mais aussi d'allouer à quelqu'un son dû. Il sait de générations en générations, la place dans la vie est une bénédiction, il est  humble au sens "d'homme de peu", mais aussi de modestie. Il se contente de ce qu'il a non par démission, ni soumission, mais par lucidité, et véracité de classe.

Il sait faire la différence entre l'être et le paraître, et maintient toujours un écart entre son "Moi" et son "Être". L'humilité est un rapport de tendresse de soi à soi, au fond de lui le pauvre sait qu'il vaut plus que ce que l'on en dit, quand on le désigne, à une place, un rôle, qui ne sont pas les siens.

Il y a entre les pauvres un implicite, une complicité de classe, même si elle ne s'énonce pas ainsi. Une connivence. On est du même monde, de la même terre, de la même histoire, du même bord : l'histoire des humbles, des persécutés, des exploités, des réprimés, des spoliés, des exterminés, des humiliés, des pourchassés, des misérables, des esclaves. Cette misère, cette détresse, cette agonie, nous en avons fait une force, un désir, une puissance, une identité. Nous sommes les pauvres.

Quand l'enfant paraît c'est pour chacun de nous une re-naissance, une re-conquête sur la misère et la mort. Le temps de l'amour brise le temps de la mort, de la guerre, et  de la violence. Le pauvre le sait, il sait que le temps est compté, chaque minute, chaque seconde est précieuse, décisive, irréversible. Il n'a pas le temps d'être nostalgique.

La magie de l'amour le rend éternel ou plutôt immortel. Nous tous qui sommes ici pouvons témoigner de cela, en nous, autour de nous. Nous tous pouvons penser que si le monde est ce qu'il est dans sa vie, son bonheur, sa valeur, sa lutte et son espoir, c'est grâce à ceux-là, depuis la nuit des temps, dont nous sommes les héritiers-témoins, voire bourreaux.

Car j'ai donné ici une conception idéale, idéelle de la réalité en sa véracité ontologique. Tous nous savons qu'il n'en ait pas toujours ainsi, loin de là. Et pourtant. Ne pas se voiler la face. Nous le savons, tout n'est pas rose, ni rouge. Nous sommes lucides. Quand le pauvre quitte l'humilité le pire est à craindre.

Certes pauvre n'est pas le prolétaire, mais il en est le caractère essentiel dans sa vulnérabilité, sa précarité, son oppression. Je ne parle pas ici, pas encore, de 'conscience de classe' ni 'd'organisation de classe', je parle d'un état antérieur et postérieur à l'idéologie, d'une ontologie et d'une métaphysique. Je parle de l'Innocence première et de l'humilité seconde.

Ce court article porte haut et fort une autre parole sur le sujet humain. Une parole de réconciliation du sujet avec lui-même. Certes il reste divisé, mais la doublure a un reste. La dignité. "L'humble n'est plus une conscience déchirée, il est une conscience recousue."

Jacques Broda, sociologue (L'Humanité, le 11 décembre 2015)

Virginie Martin. « La droite et la gauche ont été mises dos à dos »

le 09 décembre 2015

Virginie Martin. « La droite et la gauche ont été mises dos à dos »

Un gagnant, un vote sanction, une crise de la représentation bien réelle et une France qui doit désormais oser se regarder… La politologue décrypte les enjeux de l'entre-deux-tours.

Virginie Martin est politologue, professeure-chercheure à Kedge Business School et fondatrice du Think Tank Different. Elle a publié, en 1996, « Toulon la noire, le Front national au pouvoir » aux éditions Denoël. En 2015, elle a signé « Ce monde qui nous échappe » et « Talents gâchés - Le coût de la discrimination » aux éditions de l'Aube.

La Marseillaise. Quels sont les principaux enseignements du 1 tour des Régionales ?

Virginie Martin. Il y a un gagnant, le Front national, et un vote sanction contre le gouvernement et la droite. Le schéma de l’alternance entre droite et gauche n’est plus automatique. Le tripartisme, que beaucoup ne veulent pas voir, s’affirme. La droite et la gauche ont été mises dos à dos.

La Marseillaise. A droite, c'est surtout Nicolas Sarkozy qui semble être le grand perdant.

Virginie Martin. En effet. Avant 2010, il avait choisi d’adopter la ligne dure, c'était la ligne dite Buisson. Aussi, ce n’est pas une surprise s’il est battu aujourd’hui. Il a eu la tentation de courir après le programme du Front national. Mais cette stratégie a ses limites. Les gens préfèrent toujours l’original à la copie. Ceux qui veulent une ligne nationalo-identitaire votent FN, pas l’ex-UMP.

La Marseillaise. Un parti Les Républicains qui, depuis lundi, étale ses fortes divergences sur la stratégie à adopter en vue du second tour.

Virginie Martin. Mais qu'est ce que Les Républicains ? Juppé ? Wauquiez ? Raffarin ? Reynié ? Quelle est sa matrice ? On n’en sait plus rien. Même Christian Estrosi est en train d’effectuer depuis dimanche soir un grand écart délirant. Se pose ensuite la question de la direction de cette formation politique. Il devient difficile pour ce parti d’être dirigé par un Nicolas Sarkozy pris dans les affaires, avec ce passif sur l’histoire libyenne… Il a une image trop sulfureuse. Si cela fonctionne très bien avec les militants, il ne faut pas oublier qu’une élection se fait plus largement, avec un électorat. Et là, cela ne passe plus.

La Marseillaise. Le PS subit lui aussi une défaite qui sanctionne à la fois le gouvernement mais également sa stratégie.

Virginie Martin. C’est tout aussi flou au PS que chez Les Républicains. Il y a la ligne Montebourg-Hamon, celle Valls-Macron, etc. Autant de lignes incompatibles entre elles. Les plaques tectoniques bougent dans tous les sens et le gouvernement a été lui aussi sanctionné. Même si François Hollande est en hausse dans sa cote de popularité suite aux attentats du 13 novembre, cela n’a pas bénéficié aux listes socialistes.

La Marseillaise. Comment interpréter l'appel au retrait des candidats socialistes arrivés en troisième position lancé dès dimanche soir par Jean-Christophe Cambadelis ?

Virginie Martin. C’est une posture car elle est politiquement vide. Quelle est la contrepartie de ce geste ? Demande-t-il en retour le retrait des candidats UMP arrivés en troisième position ? Et ce alors qu’en face Nicolas Sarkozy dit que cela ne le concerne pas, qu’il ne veut pas des voix de gauche. Pour le PS, c’est un suicide à la fois financier, électoral et politique, comme en Paca ou dans le Nord. Franchement, sur 100 électeurs socialistes, combien vont voter Estrosi dimanche ? Estrosi, ce n’est pas Juppé. Et en calculant bien le total des voix de gauche, le désistement était-il nécessaire face à une droite qui avait toujours exclu de se retirer ?

La Marseillaise. Cela voudrait-il dire que la notion de Front républicain est obsolète ?

Virginie Martin. La question du Front républicain doit se lire en deux temps. Cela a pu marcher, pourquoi pas, dans les années 80, 90 et début 2000. Quoique… Il y avait un socle de valeurs communes qui permettait de le mettre en œuvre. Or, aujourd’hui, le Front républicain ne prend pas en compte deux données fondamentales : la banalisation du Front national et la banalisation de la radicalisation politique. Aujourd’hui, avoir un discours nationaliste, parfois socialiste, comme le FN, ne choque plus personne. Du coup, le Front républicain n’est pas bien compris par un grand nombre d’électeurs. L’électorat du FN est jeune, donc le spectre du Jean-Marie Le Pen des années 60 et 70, sur une ligne dure, n’existe pas. Cette image est morte dans la tête de ces jeunes gens.

La Marseillaise. L'opération de dédiabolisation du FN aurait donc fonctionné ?

Virginie Martin. Aujourd’hui, on tente de créer un diable politique mais qui est incarné par des gens banalisés. Marine Le Pen, Florian Philippot… passent très souvent à la télévision. Donc, en quoi ces gens passant à la télé représenteraient-ils le péril fasciste dont certains par- lent encore ? Tout le monde les acceptent sur les plateaux TV, les invitent... Et il faudrait ensuite faire un Front républicain contre eux aux élections ? C’est pour cela que le Front républicain ne fonctionne plus.

La Marseillaise. Quelle lecture peut-on faire du vote FN en France ?

Virginie Martin. Le Front national cristallise sur fond de crise sur la base du mécontentement, de l’envie de changement et de l’adhésion nationalo-identitaire. Si on écoute bien les électeurs du FN, la structure du vote tourne autour de la question identitaire, de la République unique, une et indivisible, non-multiculturelle. Dans le FN, on peut tout enlever, tout gratter, au final il restera toujours ce que j'appelle la question de Rachida et de Mohammed. Alors parfois des électeurs de gauche ont pu basculer vers l’extrême droite alors qu’ils étaient satisfaits économiquement et socialement parlant. Mais ils ne s'y retrouvaient plus sur la question de l'identité. Cette France doit se regarder elle-même. Elle se heurte à une partie de son identité. L’Europe aussi est tombée en pleine paranoïa. Parce ce qu’elle ne sait plus ce qu’elle est, elle se met à rejeter l’autre.

La Marseillaise. Pourquoi, malgré un discours de rupture, la gauche de la gauche ne capitalise pas aussi sur le mécontentement vis-à-vis de la politique gouvernementale ?

Virginie Martin. Elle ne le capte pas car il faut, selon moi, arrêter de penser que la question frontiste se construit autour du mécontentement et de la crise. Si c’était le cas, la gauche radicale ferait 80% des voix ! Le vote FN cristallise sur la question identitaire et de l'étranger. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'aspect médiatique. Peut-être que les dirigeants des forces de la gauche de la gauche sont de moins bons clients que les Le Pen. Si on entendait plus les représentants de cette gauche radicale dans les médias, cela se ressentirait, cela se verrait. On entendrait par exemple le fait que cette gauche donne des pistes sur la question de l’Europe non-libérale. Mais on l’entend très peu.

La Marseillaise. Selon vous, quel que soit le résultat de dimanche prochain, quelle stratégie va désormais adopter le FN ?

Virginie Martin. C’est horrible à dire. Mais les faits jouent pour lui. Il va continuer à faire ce qu’il a fait après les attentats du 13 novembre : regarder, analyser sobrement et parler discrètement. Ses élus vont gérer en bons pères de familles leurs collectivités, sans coups d’éclat, c'est la ligne Philippot. Sauf peut-être parfois sur la question identitaire.

La Marseillaise. Avec un réel risque frontiste lors de la Présidentielle de 2017 ?

Virginie Martin. Il ne faut jamais dire que c’est joué. Mais on est dans la quadrature du cercle. Le FN se fait traiter de parti dangereux pour la démocratie ? Il riposte en faisant l’amalgame entre migrants, réfugiés et terroriste. Et ça prend. En face, le PS semble faire la politique de l’autruche et l’UMP serait presque d’accord, suivant la ligne Buisson. Pas grand monde en face n’a de projet, de matrice. François Hollande ne conduit pas une politique, il gère la crise, le chômage, les attentats, la Syrie. Mais quelle politique mène-t-il ? Ce n’est pas cette attitude qui fera adhérer des gens à la politique, qui donnera envie de militer ? La crise de représentation est réelle. Les gens sont perdus. Et quel projet leur propose-t-on ?

La Marseillaise, le 9 décembre 2015