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Guerre 14/18. Les munitionnettes

En 1914, l'armement de l'artillerie française montre sa faiblesse. Une production massive d’obus est nécessaire mais, la mise en place des usines de guerre est lente. Dès 1915 on recrute donc massivement des femmes.

Août 1914 montre l’infériorité de l’artillerie française. Une production massive d’obus est nécessaire mais, la mise en place des usines de guerre est lente.

On utilise toute la main d’œuvre disponible, jusqu’aux mutilés et prisonniers de guerre mais surtout, des ouvriers mobilisés rappelés.

La production étant toujours insuffisante, à partir de 1915, on recrute massivement des femmes. Elles seront très nombreuses à fabriquer obus, cartouches, grenades et fusées, ce qui leur vaudra le surnom de « munitionnettes ».

Elles viennent des secteurs traditionnels de l’activité féminine, comme le textile et l’habillement qui connaissent le chômage. Les ouvrières glissent vers la métallurgie et la chimie : elles vont faire tourner, depuis l’arrière, la machine de guerre.

« Une circulaire du 20 juillet 1916 recommande leur emploi pour certaines opérations et l’impose pour d’autres, ainsi l’emboutissage, le dégrossissage, l’ogivage, la trempe, le finissage, le ceinturage des obus de 75 et 120. On les trouve même à la soudure autogène »(1).

Beaucoup d’usines de mécanique se reconvertissent dans la production de guerre. En 1918, l’armement compte 1.600.000 personnes, dont 440.000 femmes. Elles représentent 60 % du personnel de Citroën, 29% chez Renault qui employait 190 femmes en 1914 et 6.770 en 1918.

Aristide Briand visite l’usine Citroën en février 1918 : « Cette immense usine, réglée, installée à l’américaine, a surgi de la guerre. C’est une ville. Quinze mille ouvriers et ouvrières ; quarante mille obus par jour. Dans un seul atelier immense, six mille femmes manient (…) d’énormes instruments d’acier. » L’armement adopte  l’organisation du travail instaurée par Henry Ford : la production parcellarisée, le travail à la chaîne avec des gestes sans cesse répétés.

Dans les poudreries, des cantonnements ont été improvisés : dortoirs et réfectoires. Selon un médecin de la commission d’hygiène industrielle, ces baraques « ne répondirent pas aux règles élémentaires d’hygiène, constitués par de simples cloisons en bois insuffisantes pour préserver contre les intempéries des saisons ; les châssis pour les lits étaient placés à même le sol ; il n’était pas rare de voir 2 ou 3 occupants dans le même lit et de voir 2 châssis placés l’un au-dessus de l’autre ; et très souvent il n’y avait aucun meuble pour les vêtements, pas le moindre lavabo, une simple fontaine dans le voisinage et une ou plusieurs tinettes comme water-closets »(1).

Dans les usines, « Il n’y a plus ni droit ouvrier ni lois sociales, il n’y a plus que la guerre, disait Millerand, ministre de la Guerre ; oubliés le repos hebdomadaire, la journée de dix heures ou l’interdiction du travail de nuit aux femmes. Ce travail de force, les ouvrières l’accomplissent de nuit comme de jour par équipes tournantes, pendant onze ou douze heures, avec au plus deux jours de repos par mois »(1).

Comme sont suspendues, dès 1915, les lois relatives à l’insalubrité des locaux industriels. Les munitionnettes travaillent dans les gaz et fumées toxiques, au contact de produits corrosifs. Elles utilisent des machines coupantes sans gants et ne sont pas équipées de tenues spéciales.

Sur une carte postale écrite le 31 décembre 1915. Un ouvrier requis présente ses vœux à ses copains : « que la paix vienne vite et que je retourne travailler parmi vous. (…) Je vous dirai qu’ici il ne fait pas trop bon à travailler. On vous donne 4 francs par jour, puis cela commence à venir comme en caserne. Celui qui est pris en train de parler avec un camarade ou qui manque sans motif, ou bien qui se lave les mains avant l’heure est puni de consigne qu’il faut faire le dimanche que l’on est de repos. Et voilà comme cela se passe dans les usines de la guerre. » Ces conditions sont celles de la fin 1915. Il faut imaginer qu’elles vont empirer, que les ouvrières seront plus mal loties et que la journée pourra atteindre 14 heures.

La journaliste Marcelle Capy décrit l’univers des munitionnettes : « L’ouvrière, toujours debout, saisit l’obus, le porte sur l’appareil dont elle soulève la partie supérieure. L’engin en place, elle abaisse cette partie, vérifie les dimensions (c’est le but de l’opération), relève la cloche, prend l’obus et le dépose à gauche. Chaque obus pèse 7 kilos. En temps de production normale, 2.500 obus passent en onze heures entre ses mains. Comme elle doit soulever deux fois chaque engin, elle soupèse en un jour 35.000 kilos. (…) Femmes de vingt ans, femmes de trente ans, jolis visages, frêles silhouettes, mamans… (…) Pour préserver leur vie et celles des leurs, elles donnent chaque jour la fleur de leur jeunesse, la fleur de leur santé. (…) Ne dites jamais que les ouvrières d’usine sont des privilégiées. Dites-vous comme je me dis à cette heure : il faut vraiment avoir faim pour faire ce métier. Que de courage ! Que d’effort et de misère ! »(2)

Un journal de l’époque rapporte : « Parfois, dominant le bruit, on entend un cri aigu. C’est une ouvrière qui vient d’avoir la main prise dans un engrenage ou une autre qui a eu le doigt tranché par une scie perfide. Ces accidents-là ne se comptent plus… »

En principe, la rémunération du travail aux pièces doit être identique pour tous, quel que soit l’âge ou le sexe. Le patronat a trouvé une parade : il a dû adapter les machines à la taille et la force d’une femme. Des frais qui justifient, selon lui, que la même pièce soit payée 40 % de moins pour les femmes.

Les conditions de travail sont bien plus difficiles que dans les autres industries mais, les salaires y sont plus élevés. Beaucoup d’ouvrières font un va-et-vient entre deux entreprises : deux à quatre mois à l’armement, jusqu’à la limite de l’épuisement puis un séjour dans une autre usine et ainsi de suite…

Récit de Raymond Bizot (La Marseillaise, le 8 mars 2015)

(1) F. Thébaud, Les femmes au temps de la guerre de 14, 2013
(2) La Voix des femmes, décembre 1917

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Guerre 14/18. Les munitionnettes

le 08 March 2015

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